Un songe

           Lors des quarante jours que j’ai passé dans le désert, j’ai fait un songe. Ce songe m’est revenu à l’esprit, tandis que seul à Gethsémani, je vivais mon agonie.

           Des démons, que  je connaissais comme Fils de Dieu de toute éternité, menaient une danse infernale autour des âmes.

 

           Leurs noms étaient étranges : le chef s’appelait Facebook, je crus comprendre « Face de bouc », puis Instagram, Twitter, Snapchat, Tiktok, Pinterest. Ils permettaient de transmettre des informations au monde entier et leur action se faisaient sur des engins tout aussi étranges avec une seule pression de doigt.

  Commençait alors une série d’images en couleurs accompagnées de textes souvent rédigés dans des langues appauvries.

  Ces images étaient parfois celles de beaux paysages mais le plus souvent de personnes dans des tenues ou des pauses qui me faisaient, comme homme, penser à celles des orgies romaines dont j’avais eu connaissance à Jérusalem, et comme Dieu, je savais qu’elles étaient causes de ma Passion.

  Facebook, WhatsApp, Instagram, Twitter, Snapchat, Tiktok, Pinterest…

 

  Je voyais des âmes baptisées dans l’Eglise que j’avais fondée, oublier trop souvent l’éternité heureuse à laquelle je les appelais pour se laisser happer par ces démons…

  Jeunes gens et jeunes filles racontaient sans pudeur ce qu’ils faisaient ou pensaient, souvent en cachette de leurs parents, se mettant en avant. D’autres se précipitaient, pour regarder ce qui se passait sur ces petites machines comme à travers un trou de serrure. Les uns se rêvaient en héros, les autres qu’ils vivaient leurs aventures avec eux.

  Le temps passé était parfois considérable, au détriment de la prière où je les attendais comme un rendez-vous d’amour quotidien, de la culture, du travail manuel, ou du simple repos du corps et de l’esprit.

  Et toujours ce tourbillon incessant de petites fenêtres qui s’ouvraient et se refermaient, les unes après les autres, m’enserrant dans une danse sans fin.

  Facebook, WhatsApp, Instagram, Twitter, Snapchat, Tiktok, Pinterest…

 

  Mon Père avait donné à l’homme des yeux pour admirer Sa Création, une bouche pour parler et chanter, des oreilles pour écouter. Mais presque tous alors, préféraient se servir de ces petites machines, qui mettaient une barrière si peu naturelle entre les hommes et faisaient le jeu de l’adversaire.

  Ils ne prenaient plus le temps de se recueillir dans le silence et ce tourbillon ressemblait étrangement à celui des damnés, qui n’ont pas un instant de paix.

  La diffusion de petites phrases assassines sur un « soi-disant ami », grâce à la vitesse de propagation et l’écho à large échelle permise par ces petites fenêtres, ruinait bien plus sûrement sa réputation que les commères les plus efficaces…

  Facebook, WhatsApp, Instagram, Twitter, Snapchat, Tiktok, Pinterest…

 

  Puis je vis ce phénomène continuer dans les familles, même proches de moi, avec de jeunes mères plus occupées par ces prétendues informations que par leurs enfants, et les pères oublieux de leur rôle.

Plus le temps pour tenir la maison, lire et prier, se promener avec leurs enfants, jouer avec eux, leur parler, les écouter au sortir de l’école. L’information apportée par ce petit engin qui s’appelait « smartphone » (encore un nom étrange), qu’elle soit juste ou fausse, était plus importante que ces petits que je leur avais confiés. Comment cela était-il possible ? Ma Mère avait tant penché son beau visage vers moi, toute attentive, et mon père adoptif tant éveillé mon esprit et guidé mes mains…

Certains préféraient aussi, tout en parlant avec l’entourage, s’occuper de la petite machine. Elle réussissait alors ce tour de force de rendre tout à la fois présents les absents, et absents les présents. Elle devenait d’ailleurs, au fil du temps, de plus en plus séduisante, légère et facile, indispensable, grâce aux nouveaux démons…

Facebook, WhatsApp, Instagram, Twitter, Snapchat, Tiktok, Pinterest, smartphone…

 

Tous les péchés s’y donnaient rendez-vous : luxure, envie, orgueil, curiosité, mensonges, étalés au grand jour comme autant de fiertés. Je voyais les esprits enchaînés et incapables de réfléchir par eux-mêmes ; une information en chassait une autre, frappait les esprits qui s’échauffaient ou s’enthousiasmaient sans recul, sans réflexion. Chacun se faisait centre du monde.

  Hélas, je vis aussi certains de mes prêtres séduits, sous couvert d’efficacité, par ces démons, se disperser sur ces petites machines. Leur ministère n’en était ni amélioré ni facilité, bien au contraire, les prières faites à la va-vite ou les âmes laissées de côté. Ils étaient trop occupés ! Pourtant y renoncer leur auraient valu tant de grâces pour elles…

  Je vis enfin ces jeunes gens que j’appelais au sacerdoce mais qui me préféraient ces petits engins dont ils ne pouvaient plus se défaire… Combien restaient chez eux, vocations avortées par un esclavage voulu, alors que je leur demandais de libérer les âmes…

Facebook, WhatsApp, Instagram, Twitter, Snapchat, Tiktok, Pinterest, smartphone…

 

  Non ce n’était pas un songe, c’était bien la triste réalité des âmes vingt siècles après ma Passion, et mon agonie était là, généreuse, offerte. J’acceptais tout de grand cœur, pour les libérer de cet esclavage.

J’en vis alors certaines réagir, renoncer, éclairer les autres, sortir de tourbillon qui ne les rendaient pas paisibles et quitter Facebook, WhatsApp, Instagram, Twitter, Snapchat, Tiktok, Pinterest, smartphone.

Elles retrouvèrent et développèrent la paix, la bonté, la douceur, la joie, l’humilité, l’intelligence, la liberté, et mon Père put agir en elles pour les faire grandir.

                  Jeanne de Thuringe