Cercle vicieux

           En cours élémentaire, la maîtresse rappelle l’importance du respect des horaires.

Votre maman vous dit certainement qu’il faut venir à table en obéissant au premier appel. C’est pareil à l’école.

Un petit garçon commente : « Oh oui, d’ailleurs hier soir maman s’est mise en pétard contre papa… Elle l’a appelé 3 fois. Il faisait ses jeux à l’ordinateur comme tous les jours. Comme il ne venait toujours pas, on a commencé le dîner sans lui… »

Visiblement ce n’était pas un cas isolé….

La fuite du père, parfois inconsciente

  Tous les pères, à un moment ou un autre, sont attirés par une activité qui peut devenir une dépendance. Que les activités soient bonnes ou mauvaises en soi, presque toutes peuvent entraîner une addiction : les jeux, internet, les réseaux sociaux, le sport, l’alcool voire la drogue ou la pornographie, et même le travail. Il s’agit d’un processus progressif : d’abord des cas ponctuels, puis excessifs avant la dépendance pathologique difficile à traiter.

Cette évolution aboutit à une certaine fuite du père par rapport à sa famille ou son épouse. Souvent inconsciente, c’est une entrée dans un cercle vicieux qui peut faire de gros dégâts.

L’origine est fréquemment compréhensible : la fatigue liée aux jeunes enfants, le souci donné par les adolescents, le vide une fois les grands enfants partis de la maison, l’ambiance entre mari et épouse, le stress professionnel ou simplement la pression de ses responsabilités de chef de famille.

Face à la difficulté qui est réelle, le père croit trouver une solution, un soulagement ou un oubli par un mauvais moyen.

Des circonstances défavorables

  Untel a l’habitude de consulter et traiter ses mels professionnels le soir, le week-end, en vacances. Devant ses enfants, ses amis ou en tête à tête avec son épouse, il a toujours de bonnes raisons. Mes clients (ou mon patron, ou mes collègues) comptent sur moi…je travaille sur des sujets qui ne peuvent pas attendre, c’est important…il faut bien que j’obtienne cette promotion pour notre bien…

De nombreux hommes se réfugient dans un travail acharné à cause d’un complexe d’infériorité qui remonte souvent à l’enfance. Le message reçu par l’enfant était du genre : « tu n’es pas aussi doué que ton frère », « tu ne feras jamais rien de bon dans la vie ». Peu d’encouragements, peu de travail sur les qualités humaines de l’enfant en dehors de celles concernant sa réussite scolaire. Ils ne se sont pas sentis aimés pour eux-mêmes. Le complexe d’infériorité pousse l’adulte à devenir perfectionniste et à vouloir prouver sa valeur aux autres. D’autres hommes, à l’opposé, se réfugient dans la paresse « pourquoi travailler sérieusement ou faire des efforts en famille, puisque je ne suis qu’un bon à rien ? »

Certains ne se méfient pas des addictions, parce qu’ils ont eu l’exemple de leurs parents ou les influences de leurs amis : à famille de fumeurs, enfants fumeurs… de mauvais amis (ou un internet sans dispositif de filtrage) amènent à la pornographie.

La fuite du père est un cercle vicieux. Certains ne se sentent pas capables de participer à l’éducation des enfants et même à leurs soins matériels. Peut-être n’ont-ils pas eu la chance de voir l’entraide de leurs pères et mères dans ces circonstances ? Peut-être sont-ils trop perfectionnistes ou manquent-ils aussi de confiance en eux, en leur épouse et en la Providence ?

Les reproches de l’épouse peuvent aggraver le cercle vicieux : l’homme qui aime sa femme ne veut pas affronter une épouse contrariée. Si cela dure, il se dit qu’il ne réussira jamais à être agréable à son épouse…et fuit le conflit en s’isolant.

Culpabiliser ne sert à rien, prendre conscience du danger, des circonstances qui y contribuent et avoir envie de changer est essentiel. Chacun doit y contribuer.

Conséquences pour les enfants

  Le dépendant vit dans un monde égocentrique. Il se replie sur lui-même, absorbé par ses peines ou ses plaisirs, ce qui va à l’encontre du don de soi nécessaire à une vie de famille réussie et sanctifiante. Les impacts sont nombreux : sur l’ambiance familiale, sur la qualité de la prière, sur le moral ou la santé, sur l’équilibre de vie.

Les dépendances du père donnent le mauvais exemple aux enfants et peuvent blesser leur personnalité d’une manière qui ne se révèlera que plusieurs années après. 

De nombreuses études se sont penchées sur un cas extrême : l’augmentation des suicides de jeunes1. Au-delà des cas liés à des maladies psychiatriques ou des troubles psychiques aigus, le suicide est l’aboutissement d’un cheminement douloureux mais souterrain. Derrière l’évènement déclencheur final, il existe souvent des mobiles plus profonds. « Dans 50% des cas, le jeune suicidaire appartient à une famille au sein de laquelle il ne peut recevoir la stabilité, la sécurité et la chaleur affective nécessaire à son épanouissement2. »

Sans arriver à cette extrémité, des enfants peuvent changer de comportement à l’école ou à la maison parce qu’ils souffrent de l’attitude de leur père ou de l’ambiance familiale. Soyons attentifs à ces indices !

Rien n’est perdu, tout est possible !

  Si vous lisez cette revue, c’est que vous voulez réussir votre rôle de père et conduire votre famille vers le ciel. Ne souhaitez-vous pas le bonheur et l’épanouissement de vos enfants et de votre épouse ? Malgré vos imperfections, avec vos qualités et avec la grâce de Dieu ? Tout reste possible !

Détectez vos dépendances et leurs impacts négatifs par l’examen de conscience, par les conseils ou les réactions de votre épouse, de vos amis voire de vos enfants est la première étape pour décider d’agir. La motivation doit être profonde : les enfants, l’épouse, l’amour de Dieu, la nécessité de casser le cercle vicieux avec ses souffrances et ses épreuves pour se sentir mieux.

Nous sommes corps et âme : dans toute dépendance, des facteurs physiologiques et physiques (les substances psychoactives et les hormones) se combinent aux facteurs psychologiques (la volonté, le tempérament). Par exemple, la dopamine, hormone du plaisir, est stimulée par la plupart des activités sur écrans, et incite à les prolonger.

Pour s’en sortir, il est donc utile de remplacer la dépendance que l’on fuit, par une activité bénéfique et d’observer les effets positifs qui nous encourageront à nous priver de la dépendance initiale. Ainsi l’excès de smartphone ou d’internet sera mieux combattu en remarquant le plaisir venant des jeux avec les enfants, des discussions, des moments de qualité avec son épouse, de la lecture ou du bricolage…

Il faudra persévérer… le carême, l’avent ou l’été sont des périodes suffisamment longues pour faciliter des changements d’habitudes, éloigner les tentations et réussir un sevrage. La prière et le recours fréquent aux sacrements seront un atout majeur.

Dans tous les cas, bénins ou sévères, l’aide de personnes de confiance, au-delà de son conjoint, est essentielle à la réussite : bons amis, prêtres mais aussi médecins ou associations spécialisées pour les cas difficiles.

  Nous avons tous nos faiblesses, voire des dépendances : les accepter et chercher à s’en corriger sont des occasions d’humilité et de progrès dans la sainteté. Ne nous décourageons pas, le bon Dieu saura nous guider si nous avons confiance en Lui.

 

Hervé Lepère

1 600 suicides de jeunes de moins de 25 ans par an, soit 16% du total des décès de cette tranche d’âge. Source : Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, janvier 2015

2 Revue du Centre Catholique des médecins français N° 54, cité par AFS N° 33