A la conquête de soi

           Regardez ce pianiste qui laisse courir ses doigts sur le clavier comme si c’était eux qui décidaient. Observez la maîtrise, dans les nuances, la délicatesse du doigté, l’attention portée aux moindres détails mais qui paraît innée et naturelle, la synchronisation parfaite des deux mains et des pieds. Le tout s’épanouissant en une harmonie sublime qui vous va droit au cœur et vous fait percevoir un tout petit échantillon de la beauté qui doit régner au paradis. 

  Un tel niveau de maîtrise a demandé une bonne dizaine d’années pour savoir très bien jouer du piano et une vingtaine d’années en plus pour atteindre la pleine maîtrise de l’instrument. Et encore celle-ci nécessite-t-elle un entraînement journalier pour ne pas perdre les réflexes qui sont peu à peu et laborieusement assimilés.

 

  Il en est de même pour notre caractère, nos parents l’ont dégrossi par l’éducation qu’ils nous ont dispensée ; ils nous ont permis de saisir approximativement le mode d’emploi de notre esprit afin de pouvoir être capable de jouer les premiers morceaux.

  A nous ensuite de nous pencher sur notre âme pour l’effiler et en acquérir la maîtrise sous le regard de Dieu. A nous d’entraîner régulièrement notre volonté ; cela nous permettra de savoir nous diriger soi-même avant de vouloir conduire les autres. C’est cette maîtrise qui nous permettra d’élargir la gamme d’harmoniques sur lesquelles nous pourrons jouer, d’affiner notre caractère, d’accentuer les nuances et d’agir avec finesse et pertinence en toute situation.

  Cette finesse nous permettra d’être fort sans avoir à être violent, d’être sensible sans pour autant être faible, d’être ferme sans être rigide et d’exercer notre autorité au service de ceux dont nous avons la charge sans être tyrannique. En un mot d’être libre, de ne pas être esclave de nos émotions et de nos réactions épidermiques parfois blessantes.

  Ce dur équilibre est le sommet de la maîtrise de soi que nous devons chercher à conquérir tout au long de notre vie d’homme au prix d’un entraînement permanent fait d’efforts de volonté, de petits sacrifices offerts avec amour. Choisir de prendre un livre au lieu de poursuivre telle série, se lever dès que le réveil sonne ou ne pas ouvrir le frigo à tout hasard entre les repas, réprimer un mouvement d’humeur ou une réplique cinglante suite à une remarque désagréable sont autant de petits exercices qui vous aideront à gravir cette montagne.

 

  Observons l’impact de nos paroles et de nos décisions sur l’humeur du prochain, non pour chercher à faire nécessairement ce qui lui plaît, mais pour être sûr que leur effet le conduit vers le bien et non vers la révolte. Mieux vaut parfois se taire quand ce n’est pas le bon moment que de dire une chose vraie mais qui entraînera une attitude révoltée. A l’inverse même si c’est parfois au dépend de notre respect humain, nous devons proclamer la Vérité quand on nous la demande ou que le moment est approprié pour élever notre prochain et lui faire découvrir les merveilles que nous avons eues la chance de recevoir mais toujours avec délicatesse. Et surtout, – posons-nous la question – la cause qui nous tient tant à cœur et que nous défendons si âprement a-t-elle vraiment besoin de nous, ou flatte-t-elle simplement notre amour propre ?

  Cette maîtrise de soi nous est plus ou moins facile en fonction de notre caractère et de notre mode de réaction. Quoi qu’il arrive, sachons demander l’aide de Notre-Seigneur, lui qui a incarné l’équilibre parfait de l’amour de Dieu, du prochain et de la Vérité dans la délicatesse et la fermeté la plus accomplie.

  Mais à quoi bon cette conquête ? Par pur délire d’esthète, simple goût du beau et de la perfection pour elle-même. Pour pouvoir dire tel Auguste dans Cinna : « Je suis maître de moi comme de l’univers… »  Peut-être, mais surtout par amour et charité pour ceux qui nous entourent, pour mériter la confiance qu’ils nous accordent et les conduire le plus efficacement possible vers le bien.

  Voilà cher ami une belle conquête à te fixer, un objectif qui fera l’objet de toute ta vie, et alors peut-être parviendras-tu à ressembler à tel ou tel pianiste accompli que tu as sans doute admiré qui, arrivé à une belle maturité parvient après tant d’années d’efforts à jouer tout en nuance et en perfection sur les nombreuses harmoniques de son beau caractère affiné par l’exercice et l’amour de Dieu et du prochain.

Antoine