A ma douce amie :
Mais ce soir, je ne veux plus imposer à mon Seigneur notre désir. J’ai cru l’entendre qui me demandait de lui offrir cet enfant que nous n’aurons pas. Vous le connaissez, cet enfant dont nous rêvons tout bas, qui occupe en notre amour tant de place, que j’ai bâti de vos yeux et de votre front et de votre cœur surtout, et un peu des miens… Vous savez, cet enfant dont l’invisible berceau dessine le sens de notre maison, et qu’appellent les fleurs de notre jardin, comme le soleil de nos fenêtres, et notre Vierge, et cet étroit espace le long de notre lit, et tous les serviteurs immobiles ou actifs de notre amour, et le travail même qui m’emmène si loin… Cet enfant où nous aurions cru seulement nous reconnaître comme en un rejaillissement de nous-mêmes et qui aurait été une vraie source, nous obligeant à la fraîcheur et à la nouveauté…
Dieu me le demandait. Je le lui ai donné. Il savait bien pourtant que nous le lui aurions rendu quand même et que son baptême n’aurait pas été une brève cérémonie, mais le don commencé de toute une vie. Son baptême nous aurait préservé de nos péchés ; nous aurions sans cesse purifié notre âme pour baiser dignement ce front. Nous en aurions fait un saint ; et le monde en a un tel désir, et la France que nous aimons !
Je l’ai donné à Dieu, et je ne veux plus le Lui reprendre : s’il nous le renvoie, je crois que je serai surpris.
… Ma douce amie, je voudrais en tous cas ouvrir mon cœur désormais sans jalousie aux enfants des autres. Penser à eux, largement. Penser que mon travail, peut-être apaisera la faim, essuiera les larmes de quelque gosse lointain. Penser qu’un autre amour, grâce à notre amour, calculera moins ; qu’en aidant la France, obscurément à devenir plus accueillante, un nouveau-né sera reçu avec un plus large sourire, et moins de rides au front du papa et de la maman. Nous serons les parents inconnus de beaucoup d’enfants. Par nos efforts, quelques-uns sentiront plus largement monter dans leur corps ou dans leur âme la vie de Dieu. Nous serons, tout le long de l’année, comme les anges et les bergers de Noël. Comme eux, devant l’enfant d’un autre, nous dirons d’une voix tremblante un peu, mais joyeuse : « Un enfant nous est né, un fils nous est donné ». Et nous songerons qu’après tout, il est venu le seul enfant qu’il fallait au monde. Vous êtes d’accord, n’est-ce pas ?
Vous n’y perdrez rien ma douce amie, vous le savez. Nous nous appartiendrons davantage, car rien de notre amour ne sera inemployé, nul coin de notre cœur ne sera désaffecté.