D’où vient la joie ?

           Pour que la joie demeure dans une âme, il faut qu’elle s’origine dans un fondement parfaitement stable. Or rien n’est tel ici-bas. Tout est fragile, tout s’use, tout disparaît. Mais, comme c’est pourtant presque toujours dans les choses d’ici-bas que les hommes cherchent leur félicité, il ne faut pas s’étonner que la joie n’existe en eux que par intermittence. Ils s’y agrippent avidement et font des efforts désespérés pour la retenir. Mais, inexorablement, elle leur échappe des mains et les laisse bien souvent dans une affreuse prostration.

  Le seul regard philosophique suffit à comprendre que la joie la plus stable qu’on puisse trouver doit parvenir de ce qui n’est pas sujet au changement. Dieu seul est parfaitement immobile et ne connaît aucune variation. Il jouit, lui seul, d’un bonheur infini que rien ne peut affaiblir. Qui parvient à placer en lui son bonheur ne sera jamais déçu et trouvera en Lui seul, autant qu’il est possible sur la terre, la constance dans la joie. Il faut cependant bien reconnaître que cet idéal philosophique, s’il a été plus ou moins théorisé, n’a pas été vécu. L’élévation qu’il requiert est plus angélique qu’humaine et celui qui y accèderait ne se trouve pas pour autant soustrait aux attentes des multiples contingences humaines.

  Il n’en reste pas moins que ce regard philosophique aura été utile pour nous préparer à découvrir la réalité de la joie chrétienne. Oui, c’est bien de Dieu qu’on peut espérer, dès cette terre, la stabilité dans la joie. Mais, cette fois-ci, il ne s’agit plus d’une simple vue de l’esprit mais d’un don de Dieu et d’un fruit bien réel que finissent par cueillir ceux qui auront le mieux enraciné leur vie en Lui.

  Un don ou un fruit ? La joie dont nous parlons est d’abord un don divin. C’est Dieu qui l’infuse dans les âmes. Son désir est de la communiquer avec profusion mais Il se trouve presque toujours arrêté dans son élan par le désintérêt des hommes à la recevoir. Les hommes courent à perdre haleine vers de petites joies factices qui les empêchent de s’intéresser à la joie principale. D’autant plus que la joie est aussi un fruit. Elle ne s’obtient progressivement et dans la stabilité qu’au prix de l’acceptation de l’œuvre chrétienne dans nos âmes. Il s’agit justement d’orienter toutes nos facultés intérieures vers Dieu et de renoncer pour ce motif à tout ce qui nous disperse et nous éloigne de Lui. La joie est grandissante à mesure de cette conversion plus grande de l’âme qui se tourne vers Dieu.

  Cette joie qui ne trompe pas et qui est destinée à s’enraciner et à s’accroître immensément dans les âmes est donc toute dans le rapprochement de l’âme avec Dieu, dans une union qui s’amorce dès cette terre. Elle monte de l’intérieur au lieu d’être guettée à l’extérieur. Elle ne supprime pas les souffrances du corps et de l’âme. Chacun comprend d’ailleurs que leur nombre et leur intensité ne peut même que grandir au fur et à mesure que Dieu, s’unissant une âme, doit par là-même la purifier plus profondément.

  Mais comprenons que cette joie est plus forte que la tristesse. Alors même que les épreuves fondent de toutes parts sur les amis de Dieu, il est vrai que la fine pointe de leur âme reste insubmersible et qu’elle éclate d’allégresse car l’union à Dieu ne leur est pas enlevée. Plus encore, elle est réjouie d’avoir à présenter à Dieu le sacrifice et l’immolation du tout ce qu’elle désire et désire intensément se prêter au travail divin – dont elle comprend la nécessité – qui constitue à la débarrasser de toutes ses scories.

  C’est ainsi que saint François d’Assise nomme parfaite la joie au moment où le chrétien, accablé d’épreuves, mais justement mort à lui-même, se réjouit pleinement de ne plus vivre qu’en Dieu seul.

Père Joseph