A propos de l’arrêt rendu le 24 juin 2022 par la Cour suprême des Etats-Unis sur une loi restreignant le droit à l’avortement  

Enfin une bonne nouvelle et elles ne sont hélas pas nombreuses dans le combat mené en faveur de la défense de la vie et contre la culture de mort.  L’arrêt rendu le 24 juin de cette année par la Cour suprême fédérale a pris le contrepied des précédentes décisions prises sur le même sujet par la plus haute juridiction américaine. Celle-ci s’est en effet prononcée en faveur de la conformité à la Constitution d‘une loi de l’Etat du Mississippi interdisant l’avortement non médical au-delà d’un délai de 15 semaines suivant la conception aux motifs que la législation sur l’avortement relève de la compétence des Etats fédérés et que le droit à l’avortement n’est ni garanti ni interdit par la Constitution de l’Etat fédéral. C’est un débat technique en apparence, très classique dans un Etat fédéral comme les Etats-Unis, portant sur la répartition des compétences entre l’Etat central et les entités fédérées mais les motifs de la décision de la Cour Suprême vont donner à celle-ci une portée politique qui explique son retentissement aux Etats-Unis et dans de nombreux pays dans le monde.        

 

L’état du droit antérieur à juin 2022 était fixé par deux arrêts de la Cour suprême rendus respectivement en 1973 et en 1992. Dans la première décision, la Cour avait affirmé le principe selon lequel le droit à l’avortement était garanti par la Constitution au titre de la protection de la vie privée, ce concept ayant été considéré comme « suffisamment large pour inclure le droit d’une femme à décider si elle peut mettre un terme à sa grossesse ». Par voie de conséquence, les lois des Etats fédérés portant atteinte à une telle liberté devaient être annulées. La seconde décision confirma cette solution au prix d’un raisonnement complexe qui laissait une plus grande marge de manœuvre aux Etats, surtout lorsque le fœtus était considéré comme viable.  

 

L’arrêt de 2022 remet en cause ces décisions en se basant sur une interprétation plus stricte, certains diraient plus littérale, de la Constitution : après avoir indiqué que l’avortement posait un grave problème moral, la Cour a relevé que « la Constitution ne faisait aucune référence à l’avortement et aucun de ses articles ne protège implicitement ce droit (…) il est temps de remettre la question de l’avortement aux représentants élus du peuple dans les parlements des Etats ». La loi de l’Etat du Mississippi – que l’on peut considérer comme très libérale – se trouve donc confirmée.   

L’intérêt de la décision réside surtout dans les motifs qui l’ont inspirée : le droit à l’avortement n’est pas protégé au niveau constitutionnel car il n’est pas enraciné dans l’histoire et les traditions de la nation américaine ; c’est aux Etats fédérés qu’il revient de déterminer l’équilibre à respecter entre le droit de la femme à avorter et les droits de l’enfant à naître et un tel équilibre peut être apprécié de façon différente de celle retenue par la Cour en 1973 et en 1992. Cette référence de la Cour suprême au droit de l’enfant à naître est intéressante car elle pourrait légitimer sa prise en compte dans une législation à venir. Contrairement à la situation qui prévalait jusqu’au mois de juin 2022, les Etats ont pleine compétence pour autoriser ou interdire l’avortement.            >>>                       >>> L’arrêt du 24 juin 2022 a été approuvé par six voix contre trois. On retrouve dans cette répartition l’appartenance politique des juges et des présidents qui les ont désignés : six républicains et trois démocrates. Ces derniers ont émis une opinion dissidente qui tendait à invalider la loi du Mississippi. Le président de la Cour, bien qu’il se soit prononcé en faveur de la décision, s’est écarté des motifs de celle-ci qui n’ont été adoptés que par cinq juges sur les neuf composant la juridiction. Il a, en effet, déclaré vouloir soutenir une approche plus mesurée approuvant la conformité à la Constitution de la loi du Mississippi en se bornant à constater que celle-ci n’interdit l’avortement qu’au-delà de 15 semaines, sans remettre expressément en cause les décisions de 1973 et de 1992.  Si ce raisonnement avait été suivi par la majorité des juges, la portée de l’arrêt aurait été considérablement réduite, de même que la liberté conférée aux Etats pour légiférer sur ce sujet. Au lieu d’un arrêt de principe, nous n’aurions eu qu’un arrêt de circonstance.   

 

A l’heure où ces lignes sont écrites, l’avortement est légal dans 26 Etats américains sur 50, principalement situés à l’est et à l’ouest du pays. D’autres Etats sont en pleine bataille judiciaire comme l’Arizona, le Dakota du nord, l’Idaho, l’Indiana, la Virginie occidentale, le Wisconsin et le Wyoming où les lois restreignant le droit à l’avortement n’ont pu entrer en vigueur car elles ont été déférées devant les tribunaux. D’autres Etats interdisent l’avortement dans tous les cas (Alabama, Arkansas, Dakota du sud, Kentucky, Missouri, Tennessee et Texas) ou bien prévoient des exceptions ou des délais pour l’autoriser.  

  

Le retentissement de l’arrêt du 24 juin 2022 a été considérable. Même s’il n’interdit pas l’avortement, le seul fait qu’il permette aux Etats fédérés de le faire a été considéré par les démocrates et les républicains libéraux aux Etats-Unis, et par presque toute la classe politique européenne, comme un retour en arrière inacceptable remettant en cause le droit des femmes à disposer de leur corps. Aux Etats-Unis, le président Biden a même menacé d’augmenter le nombre de juges siégeant à la Cour suprême afin de diluer sa majorité conservatrice. De grandes entreprises comme Netflix, Disney, Tesla, Amazon, Starbucks et Apple ont annoncé qu’elles prendraient en charge les dépenses engagées pour avorter par leurs employées vivant dans des Etats qui interdisent cette pratique. En Europe, les élus de tous bords soutiennent une protection constitutionnelle du droit à l’avortement. Au mois de janvier 2022, Emmanuel Macron, avant même que ne fût rendue la décision américaine, avait proposé d’inscrire ce droit dans la Charte des droits fondamentaux de l’union européenne.  Cela ne changerait pas grand-chose en pratique, sauf en Pologne ou à Malte, mais l’effet d’affichage serait bien sûr désastreux.  

 

Y a-t-il des enseignements à tirer de cette décision ? Oui, bien sûr. Cette victoire, relative, mais réelle, n’aurait pas été possible sans le combat courageux mené depuis de longues années par la société civile aux Etats-Unis pour le droit à la vie.  Cela doit nous encourager à agir en ce sens même si l’absence quasi-totale de relais politiques dans la plupart des pays européens rend une telle action très difficile. Il faut saluer le rôle joué dans ce combat par l’Eglise catholique américaine à côté de certains groupes protestants et déplorer l’absence de soutien romain sous l’actuel pontificat aux évêques qui se sont engagés en sa faveur. Ajoutons que la laïcisation des Etats promue par le concile Vatican II se traduit par le vote de lois contraires à la morale naturelle. L’avortement n’est malheureusement qu’un des éléments – sans doute l’un des plus importants – de la déchristianisation de la société et c’est pour cette raison que toute atteinte à ce droit est autant vilipendée aujourd’hui. Le vote de l’assemblée générale de l’ONU du 2 septembre 2022 assimilant l’avortement sûr à un droit de l’homme ne doit pas nous décourager. Le combat pour la vie sera long mais ce n’est pas une raison pour ne pas le mener jusqu’au bout.              

Thierry de la Rollandière