La femme de l’Apocalypse vue par Augustin Frison-Roche

L’Apocalypse est un livre mystérieux qu’il est souvent bien difficile de comprendre. Elle a de longue date inspiré des artistes, la représentation la plus connue étant bien évidemment la célèbre tapisserie de l’Apocalypse exposée au château d’Angers. La femme de l’Apocalypse notamment inspire les artistes et exégètes. Récemment, elle est réapparue sous le pinceau d’Augustin Frison-Roche sur un panneau peint de 6x2m réalisé pour la cathédrale de Saint-Malo. Un panneau plein de mystères à méditer à la gloire de Notre-Dame.

Le texte de l’Apocalypse 

Le chapitre 12 de l’Apocalypse relate le combat de la femme contre le dragon. Celle-ci apparaît dans le ciel, revêtue du soleil, la lune sous ses pieds, couronnée d’étoiles. Elle est enceinte, sur le point d’accoucher. Elle subit les assauts d’un dragon à sept têtes et dix cornes qui cherche à s’en prendre à elle et à son enfant. Mais un ange descend du Ciel, emporte l’enfant qui vient de naître dans les Cieux. Saint Michel et ses anges combattent le dragon qui tombe sur terre et crache un fleuve d’eau pour noyer la femme. Mais celle-ci reçoit des ailes qui lui permettent de se retirer au désert, à l’abri du dragon.

Dans l’exégèse cette femme fut d’abord l’image de l’Église, en proie aux assauts du démon, qui accouche ses enfants dans la douleur, mais les sauve grâce au baptême. Elle ne fut véritablement assimilée à la Vierge Marie que tardivement, même si Notre-Dame apparaît fréquemment en train de piétiner le serpent, en référence aux versets de la Genèse instituant l’antagonisme entre la femme et le serpent. Mais la femme de l’Apocalypse enfante dans la douleur. Les exégètes se refusaient donc à y voir la Vierge Marie qui, n’étant pas atteinte par la faute originelle, ne pouvait de toute évidence pas en subir la conséquence, celle d’enfanter dans la douleur. Comparer la Vierge à la Femme de l’Apocalypse, c’était donc courir le risque de laisser planer un doute sur le caractère immaculé de la Vierge Marie. C’est pourquoi il fallut attendre la proclamation officielle du dogme de l’Immaculée Conception pour que, tout doute étant écarté, la Vierge Marie pût être assimilée sans crainte à la femme de l’Apocalypse, et devenir ainsi la principale adversaire du Démon. La comparaison ne risquait plus d’induire en erreur les fidèles. A partir du XIXe siècle, l’image de la Femme victorieuse du dragon n’est plus seulement l’Église triomphant du mal, mais la Vierge Marie protégeant ses enfants.

 L’œuvre 

Dans la cathédrale de Saint-Malo, la Femme est très explicitement la Vierge Marie. Elle reprend les traits de la très célèbre Notre-Dame de Guadalupe, dont l’image est, comme le linceul de Turin, acheiropoïète c’est-à-dire non faite de main d’homme. C’est la Vierge qui imprime son image dans la tunique de Juan Diego. Ici les traits du visage sont bien ceux de Notre-Dame de Guadalupe, seule la tunique change et devient bleue, couleur mariale par excellence. La Vierge est placée au centre du tableau, lui-même divisé en trois parties. A droite l’armée céleste accourt, tandis qu’à gauche la Jérusalem Céleste est gardée par  un ange doré. Au niveau du sol un immense serpent doté de plusieurs têtes rampe, hissant sa gueule en direction de la Vierge. Sa queue est transpercée par la lance de saint Michel qui se tient en tête des armées célestes.

Afin de révéler au mieux le mystère de l’Apocalypse et plus précisément celui de la femme, le peintre a choisi la technique du pochoir combinée avec celle du glacis, utilisée notamment par les primitifs flamands. Les glacis permettent de superposer plusieurs couches transparentes, ce qui donne de la force aux couleurs, mais aussi facilite la superposition de plusieurs niveaux de lecture. On ne voit donc pas la même chose de près ou de loin. De loin, ce sont les principaux personnages qui apparaissent au milieu de masses de couleurs. De près, ce sont de nouveaux tableaux dans le tableau qui se dévoilent. Ainsi, dans le bouclier de saint Michel, on reconnaît ce même archange terrassant le démon. Le cheval blanc du cavalier justicier, l’épée dans la bouche en référence au chapitre 19 de l’Apocalypse, abrite lui aussi un combat, celui des anges du ciel contre les anges déchus qu’ils repoussent hors du tableau. De l’autre côté, au centre de la Jérusalem Céleste, pousse l’arbre de vie, aux branchages d’or.

 

Un tableau aux multiples secrets

Un tel tableau ne peut que cacher des secrets. Un œil expert reconnaîtra la présence du Chrisme sur la cuisse du cheval blanc, la Victoire de Samothrace vacillant parmi les anges déchus, eux-mêmes empruntés aux tableaux de Bosch et Bruegel (XVIe siècle), les ondulations de la queue du serpent formant le chiffre de la bête, ou encore le paon, symbole d’éternité déjà présent dans les catacombes, au milieu de la Jérusalem céleste. De même, d’après le peintre lui-même, le ciel étoilé entourant la Vierge reprend l’alignement des constellations observables le 15 août 2020 à 11h00, jour et heure de la messe de l’Assomption pour laquelle ce tableau devait être installé. N’oublions pas que Magnum signum apparuit in caelo, les premiers mots du chapitre 12 de l’Apocalypse, est le texte chanté lors de l’Introït de la messe du 15 août !  

Mais le véritable secret bien caché se trouve dans le sein de la Vierge. Notre-Dame de Guadalupe est connue au Mexique pour être la représentation d’une femme enceinte. C’est également le cas sur ce tableau. Cela est presqu’impossible à distinguer aujourd’hui mais dans 50 à 100 ans, un enfant apparaîtra clairement dans le sein de la Vierge. Pourquoi ? L’artiste a utilisé la technique du repentir pour cacher l’Enfant dans le sein de la Vierge. Le repentir est une première esquisse des traits d’un personnage qui finalement est recouvert par autre chose, le peintre ayant changé d’avis. Mais avec le temps, les couches supérieures, surtout lorsqu’elles sont réalisées à la peinture à l’huile, finissent par s’estomper, laissant apparaitre le repentir sous-jacent. Les couches supérieures recouvrant le repentir vont donc progressivement s’estomper pour révéler la présence de l’Enfant. Au fil des ans, la Vierge s’effacera pour révéler son Fils plus distinctement. Comme l’a dit Augustin Frison-Roche lui-même, le véritable secret de son tableau, c’est l’Incarnation.

 

Conclusion 

A notre époque où l’art, même religieux, est souvent de mauvais goût voire sacrilège, il est heureux de voir que le Beau n’est pas mort et qu’il mène toujours à Dieu. « Apocalypse » en grec signifie « Révélation ». Ici le pinceau révèle toute la beauté de la Vierge Marie, qui elle-même dévoilera un jour aux fidèles venus la prier dans la cathédrale de Saint-Malo, la naissance de son Fils Jésus.

 

Une médiéviste au XXIe siècle