« Les autres adoptent des enfants. Jésus a adopté un père1.» La formule est de Bossuet. Celui que Notre-Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, s’est donné comme père adoptif et nourricier devint nécessairement celui de tous les disciples que, dans la charité de son hypostase, Il adopta par le baptême. Aussi le pape Pie IX, après avoir étendu à toute l’Eglise la fête de son patronage, le 10 septembre 1847, le reconnut légitimement Patron de l’Eglise universelle par le décret « Quemadmodum Deus » du 8 décembre 1870.
Qu’elle semble cependant éloignée des temps modernes, cette tribulation antique et orientale que fut la « vie cachée » de saint Joseph ! Que nous révèle sa sainteté ? Quel enseignement pouvons-nous tirer d’elle ? Quel sens possède cette paternité ?
- L’homme qui dort
« Les temps si tristes que nous traversons… », soupirait déjà le pape Pie IX dans son décret, à propos de la fin des États pontificaux. Au risque de l’anachronisme, imaginons qu’un de nos contemporains se voit confier, par ces temps guère plus enthousiasmants que nous traversons, la délicate mission de garder le Fils de Dieu, qui est Dieu Lui-même, et sa Mère, l’Immaculée. Cet homme, assurément, installerait autour de sa maison des programmes de surveillance hors du commun, aurait recours à toutes sortes d’experts numériques en protection rapprochée, userait de l’Intelligence artificielle pour anticiper tous les scenarii budgétaires, sécuritaires, judiciaires, sociétaux possibles, afin de se sentir prêt à planifier tous les obstacles. Dans un univers aussi hostile et dangereux que le nôtre, tels sont les excès de prudence, mais aussi de témérité, dans lesquels tout citoyen appelé à des responsabilités, pourtant d’ordre bien plus futiles, n’hésite pas à engager ses efforts.
Or la sainteté de celui à qui échut, voilà plus de deux mille ans, cette mission surnaturelle, révèle un comportement parfaitement contraire : saint Joseph fut « l’homme qui dort », attendant paisiblement dans le repos le Conseil de l’Ange : l’Ecriture relate quatre songes bibliques qui permirent la réalisation effective du plan divin, sans lesquels l’Eglise n’aurait pu voir le jour : c’est ce que veut figurer le tableau de Giuseppe Rollini qui le représente auprès de Marie, l’Enfant-Jésus dans ses bras, gardant d’en haut avec sa main la Basilique Saint-Pierre, qu’un ange agenouillé lui présente humblement.
La première leçon que nous pouvons en tirer est d’ainsi s’en remettre à Dieu seul. Et si nous ressentons douloureusement les blessures de notre intelligence, c’est de comprendre qu’elle n’a nul besoin d’être augmentée artificiellement, mais exclusivement par le moyen de sa grâce : « Confie toi de tout ton cœur à Yahweh et ne t’appuie pas sur ta propre intelligence. Dans toutes tes voies, pense à Lui et il aplanira tes sentiers.» [Proverbes, 3 5-6]
- Mieux connaître Jésus
La société est dangereuse et il est humain de s’en inquiéter, pour soi-même comme pour ses proches. Vidéosurveillance, antivirus informatiques, masques sanitaires hygiéniques, portillons automatiques et vigiles armés : la deuxième leçon que nous pouvons tirer de l’attitude de saint Joseph, c’est qu’il n’y a de sécurité véritablement bien comprise qu’en une intimité régulièrement nourrie avec Dieu. Ce Dieu, que saint Joseph voyait en Jésus, nous pouvons le contempler dans le Saint Sacrement et le recevoir dans l’hostie. Je suis toujours étonné du petit nombre de fidèles présents lors de l’Adoration. Combien de force, de réconfort, d’amour, de protection surnaturelle et de miséricorde le Seigneur se montre pourtant désireux de communiquer à chacun en cette occasion ! Qui nourrit régulièrement cette intimité ne peut qu’apprendre à persévérer dans sa foi, son espérance, et grandir ainsi en charité. On ne peut s’approcher de saint Joseph sans désirer ardemment mieux connaître celui qui daigna être son fils, et sans comprendre qu’en Eglise, nous devons croître à son école. Toutes les tribulations que cette société nous réserve, plongée dans la plus redoutable apostasie, soumise à des intérêts qui depuis longtemps ont divorcé des nôtres, nourrie chaque jour des plus contagieuses illusions et traversée d’incessants conflits, s’effacent alors. J’en arrive ainsi à la troisième leçon, la plus édifiante sans doute :
III. La vie cachée
Bossuet composa en 1692 pour la religieuse Louise de Luynes un remarquable Discours sur la vie cachée en Dieu. Il y évoque métaphoriquement cette « image de moi » créée par « le jugement des hommes qui veut me suivre partout, me peindre, me figurer, me faire mouvoir à sa fantaisie, et croit par là me donner une sorte d’être ». Il compare cette « image » à son ombre qui le suit, « qu’une lumière changeante, qui me prend tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, allonge, rapetisse, augmente, diminue ». Ainsi poursuit-il, « ainsi en est-il des opinions, des bruits, des jugements fixes si vous voulez, où les hommes avaient voulu me donner un être à leur mode2 ». Ne soyons pas des « êtres à leur mode ». Soyons des êtres « à la mode de saint Joseph », dont l’évêque de Meaux, dans le Premier Panégyrique qu’il dressa de lui, déclara : « Jésus est révélé aux Apôtres, pour l’annoncer par tout l’univers ; Il est révélé à Joseph pour le taire et pour le cacher.» Saint Joseph ne connut pas, de la terre, le ministère public de Jésus. De celui dont il fut le père adoptif, il ne connut ainsi que la vie cachée à Nazareth, celle qui fut si chère au cœur de Charles de Foucauld. De cette dernière, il demeure pour nous le modèle indépassable. Malgré les réseaux sociaux, les smartphones, les sollicitations de la cité, malgré le bruit et la fureur, efforçons-nous de suivre, au service de son Divin Fils et selon nos vocations respectives, l’exemple qu’il offrit pour toujours, à tous les hommes de bonne volonté.
G. Guindon