Voués au bonheur

Dieu a créé par amour et pour sa gloire. Or cette gloire lui est rendue par l’achèvement de sa création. Jaillie de Dieu, la créature humaine retourne à Lui, et c’est dans la possession de son Créateur qu’elle trouve sa perfection.

Ce plan d’un Dieu d’amour, le péché ne l’a pas brisé, puisque le Rédempteur est venu « réconcilier toutes choses avec son Père ». Mais ce bonheur, voulu par le Créateur et par la créature, ce bonheur que le plus désabusé des sceptiques continue obscurément de chercher, il va falloir le discerner, le distinguer de ses ébauches et de ses caricatures, le conquérir ! Dieu ne cessera pas de l’offrir au cœur, de le tendre vers les mains avides ; et ce cœur et ces mains devront laborieusement, douloureusement saisir ce bonheur promis aux âmes saintes, sa plénitude étant réservée pour l’au-delà.

 

Voués au bonheur

En tant qu’époux catholiques, nous sommes (créés par Dieu) appelés par lui au foyer, tous deux « voués au bonheur ».

Avant tout, ayons conscience de la grandeur de notre état d’époux, et de celle de notre mission. Ne laissons pas les difficultés voiler nos yeux. Si notre espérance décline, c’est qu’on l’a épuisée en des recherches trop humaines, dans une impatience égoïste, en voulant goûter le Royaume sur la terre ; ou bien, c’est que la foi en la Justice ou la Miséricorde de Dieu s’est étiolée. (A.M. Carré)

Pour autant, nous n’avons pas droit, sur la terre, au bonheur conjugal facile et continu, comme si le péché n’existait pas, comme si la grâce du rachat avait ramené l’humanité à son état primitif sans demander le concours des hommes. Non, chacun doit prendre part à son propre rachat.

Cette lente conquête est demandée aux époux chrétiens. Ils ont en eux les atouts de la réussite : les dons de Dieu et leur liberté.

La grâce du mariage

L’amour humain, rien qu’humain, est incapable par ses seules forces d’assurer l’entente de deux pécheurs. Tout au long de la vie conjugale, si le sacrement de Mariage est un sacrement permanent, c’est que le salut de l’amour conjugal doit être assuré chaque jour, chaque minute. En effet, le péché, fruit de l’égoïsme, de l’opposition de l’homme à Dieu, oppose aussi l’un à l’autre les égoïsmes de chacun des époux. Il rend par là difficile l’adaptation que chacun doit faire de ses propres vouloirs aux intérêts de l’autre et au bien commun. Si le péché n’était pas vaincu par la Grâce, et vaincu constamment, comment pourrait naître et se développer le bonheur de la conjonction de deux vies ? Bonheur naturel auquel la grâce assure une qualité et une amplitude que les seuls vouloirs humains ne sauraient lui donner. Cette grâce sans limite a le pouvoir de conduire ceux qui s’aiment à une harmonie où la joie même de Dieu s’incarne !

Deux époux qui se sont donné la grâce au jour de leur mariage, qui demeurent en état de grâce, et qui nourrissent cet état de grâce, par les sacrements de la route et les mérites accumulés de leurs vies, mettent en commun les trésors de Dieu.

S’ils ne sont plus en état de grâce, malgré beaucoup d’attachement mutuel, le christianisme dit : vous vous aimez mal ! Voilà qui introduit dans l’amour des époux l’exigence de la Croix.

 La Croix

Jésus a tenu dans le creux de sa main toute la douleur humaine, et il l’a jetée, semeur puissant, dans les sillons de la vie, pour qu’elle germât en vérité et en beauté, en vertu aimante et en béatitude. En dressant son calvaire, Il y a invité toutes nos croix ; elles se penchent désormais vers leur sœur divine comme le roseau vers l’arbre.  (A. D. Sertillanges : Notre vie)

La Croix, la souffrance est le moyen choisi par Jésus-Christ : le vrai chrétien ne conçoit pas qu’on puisse en choisir un autre. Le soldat combat aux côtés de son chef, et ne se range pas sous une bannière étrangère. Si Jésus s’est avancé vers la croix, c’est parce qu’il nous y a voulus avec lui.

Toute souffrance endurée par charité enlève une souffrance à quelqu’un. Par la voie du mérite, par l’exemple, au nom de l’amoureuse substitution que le Christ nous permet, nous pouvons sanctifier notre époux, l’acheminer plus haut. Un cœur généreux se donne, aimer c’est se donner, c’est accepter de souffrir. La souffrance pour l’autre, insupportable en elle-même, est belle de la beauté de l’amour, une noblesse offerte à l’humanité.

La liberté

Nous savons par la foi qu’une solidarité plus profonde encore lie entre eux tous les hommes dans l’ordre du salut. Les hommes sont beaucoup plus liés par leurs âmes qu’ils ne le sont par leur sang. Le lien par le sang de la chair est comme un symbole visible du lien par le sang de l’âme. Nous nous communiquons les uns aux autres la vie de nos âmes pour notre salut ou pour notre perdition commune, suivant que nous sommes saints ou pécheurs.

Si le péché d’Adam se répercute sur l’humanité tout entière, la grâce de salut par le Christ a également une portée universelle.

Nous savons que tout ce qui nous sanctifie vient de Dieu par Notre-Seigneur : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire. » Notre intelligence se sanctifie dans la vérité qui lui est enseignée. Notre volonté se sanctifie dans la loi et la grâce du Seigneur qui ne viennent pas d’elle, elle nous fait vouloir le bien, tendre aux bonnes choses. Notre liberté, fille de celle de Dieu, n’est vraiment à son rang que lorsqu’elle rejoint, par sa soumission, la Liberté première. C’est ainsi que Sénèque, observant que le juste emploi de nos énergies est une délivrance, a pu dire : « Obéir à Dieu, c’est la liberté. »

Nous pouvons donc affirmer que pour obéir à Dieu, pour faire ce que Dieu veut, il faut orienter notre vie vers le bien supérieur de notre famille, accepter les exigences de la Croix.

 

La croix, qu’est-ce à dire ? Nous le savons bien : lutte tenace contre les défauts, oubli de soi, maîtrise des passions, chasteté, respect de la vie, sacrifice de ses aises ou de son temps pour le bien de sa femme ou de son mari, ou de ses enfants, renoncements et encouragements sous tant de formes… Ne nous dérobons pas à de tels combats. Celui qui ne veut pas boire le calice ne pourra pas connaître la résurrection. Pour cela il faut se montrer héroïques, se soutenir et s’encourager l’un l’autre constamment. Les saints et les saintes ont pris sur leurs épaules ce même fardeau, ils en ont eu le cœur fatigué, mais la joie qui demeurait en leur âme en était purifiée.

Le bonheur désiré, le bonheur promis est trop grand pour qu’on le conquière à moindre frais.

 

Sophie de Lédinghen