Célibat géographique ou déménagement?

           Marc, marié avec 3 jeunes enfants, ingénieur en bureau d’étude, hésite : son entreprise lui propose une mission d’un an pour mettre au point son matériel sur une base militaire, dans une ville agréable mais à 500 km de son domicile actuel… Doit-il faire confiance à son chef qui a intérêt à ce qu’il accepte, mais ne peut pas garantir un poste précis à son retour ? Et puis, son épouse n’est pas enthousiaste…

Marc a récemment acheté une maison. Dans la grande ville où il réside, il bénéficie d’une bonne école catholique, d’un réseau d’amis…  Son épouse n’est pas une aventurière, elle fréquente de nombreuses amies, quelques œuvres associatives … Partir seulement 1 an ? Se fatiguer à chercher un logement, faire la classe à l’aîné des enfants, n’avoir la messe que les dimanches, mais pas en semaine ? Marc hésite à refuser le poste, car il a besoin de progresser pour sa motivation professionnelle et pour nourrir sa famille qui grandira encore. Alors, peut-être partir en célibat géographique ? Revenir en train chaque week-end ? Son épouse sensible, fera-t-elle face avec les 3 enfants ? Tout se mélange dans sa tête : comment trier tous ces arguments pour ou contre ? Il prend conseil.

La séparation des époux est mauvaise, sauf exceptions

Toute la semaine, mari et femme séparés sont sous pression, pressés d’accomplir leurs devoirs professionnels ou de soin des enfants. Le mari rentre tard le vendredi : comment se réincorporer dans la vie de famille qui a continué sans lui ? Chacun a une lourde liste de choses à régler pendant le week-end qui ne sera donc pas un temps de détente. Le mari veut reprendre en main les enfants, et son épouse peut avoir l’impression qu’il lui reproche ainsi de ne pas avoir été à la hauteur. Parfois, c’est l’épouse fatiguée qui demande de serrer la vis… Comment garder la complicité légitime du père avec ses enfants, l’écoute, les conseils, les échanges ? Comment réagir lorsque l’épouse souhaite qu’ils aillent dîner chez des amis le samedi, en laissant les enfants ? Ou au contraire, lorsqu’un des adolescents est invité à l’extérieur ?

Ceux qui ont vécu en célibat géographique le disent : en raison de la distance, des rythmes et contextes de vie différents, un déphasage permanent s’installe et fait souffrir durement. L’unité des époux, donc de la famille, est mise en danger et personne ne sort indemne lorsque la vie commune reprend.

Les enfants ont besoin de parents visiblement unis, attentifs voire admiratifs l’un pour l’autre, pour être épanouis et se sentir en sécurité : ils souffriront davantage de la séparation que d’un déménagement.

Seuls le soir, le mari ou l’épouse peuvent chercher des compensations (sorties, amitiés, internet, coucher tardif) ou perdre le moral, succomber à la langueur, aux récriminations, ou à la tristesse.

Pie XII , dans son discours aux jeunes époux du 15/07/1942, nous alerte sur ce thème de la séparation: « C’est une épreuve, c’est une douleur, certes ; mais c’est encore un danger : le danger que l’éloignement prolongé accoutume peu à peu le cœur à la séparation et que l’amour se refroidisse et baisse, selon le triste proverbe « loin des yeux, loin du cœur » (…) La tentation viendra de ceux qui vous entourent : on voudra, dans une intention louable et sans éveiller le moindre soupçon, vous consoler, vous réconforter ; cette compassion sincère et votre courtoise reconnaissance soumettront votre tendresse à une dangereuse épreuve, la feront fléchir et grandir ; les intérêts matériels ou moraux du foyer, des enfants, de l’absent lui-même uniront leurs voix pour vous presser de recourir à des conseils, à des appuis, à des aides. Cette rencontre de l’empressement le plus loyal et le plus désintéressé et de votre confiance la plus sincère et la plus honnête pourra furtivement insinuer l’affection dans votre tendre cœur. »

Célibat géographique : LA question essentielle

Est-ce vraiment notre devoir de choisir le célibat géographique et de laisser l’épouse avec les enfants ? Ou est-ce une forme de confort ? Cette question est primordiale : si c’est vraiment un devoir, c’est à dire la volonté de Dieu, alors les grâces d’état seront présentes. Sinon, le danger est majeur.

Il peut y avoir de bonnes raisons à la séparation : dans une période difficile, le père de Padre Pio1 s’est expatrié deux fois pour payer les études de ses enfants, pendant que son épouse gérait seule la petite ferme de Pietrelcina. Un officier affecté sur un poste qui l’obligerait à être en déplacement hors de son domicile 4 nuits chaque semaine ne fera pas déménager son épouse. 

Mais souvent, les motifs d’éviter un déménagement, certes fatigant, ne sont-ils pas remplis de prétextes ? Des tentations sous apparence de bien :

¨ Les bonnes écoles…  mais en primaire, au pire, on peut s’organiser pour des cours par correspondance ; et en secondaire la pension est une bonne solution.

¨ La messe… il faudra peut-être faire quelques km en plus, vers une église moins jolie…

¨ Le déménagement est fatigant, Paris fait peur parce qu’on sera plus à l’étroit, que faire si on est propriétaire ? Ce sont de vrais sacrifices matériels, mais pour un bien plus noble : l’unité familiale.

¨ Le travail éventuel de l’épouse… occasion de changer ? ou d’arrêter temporairement ?

¨ La difficulté du poste : si l’autorité légitime nous croit capable de réussir et nous le propose, ne refusons pas l’effort, ou la progression de carrière !

¨ Les amis et les cercles…c’est l’occasion de se faire de nouveaux amis !

Sachons voir les bénéfices d’un déménagement :

Un déménagement nous sort de la routine qui peut endormir notre vie familiale ou professionnelle, et même notre âme. Retrouvons la joie des petits enfants face à la découverte de nouveaux horizons, de nouveaux amis. Un déménagement est une occasion de prendre de nouvelles habitudes.

Dans notre cas réel, Marc a finalement déménagé avec sa famille. Les essais de son matériel ont duré deux ans au lieu d’un. Il est revenu ensuite dans sa grande ville, avec un travail encore plus intéressant.

Chaque membre de la famille avait gagné en confiance en soi, en capacité à affronter l’incertitude de l’avenir ! Si c’était à refaire, ni son épouse ni lui n’hésiteraient ! L’unité familiale qui aurait souffert de la séparation s’est trouvée renforcée : ils avaient vécu une aventure ensemble.

Que faire si le devoir impose la séparation ?

Des règles fortes pour une vie régulière sont nécessaires.

La vie spirituelle doit être renforcée par les deux époux, pour que la grâce compense l’anomalie de la séparation : le chapelet quotidien est vital, une messe en semaine et la méditation quotidienne sont des atouts majeurs. Enfin, les époux peuvent se coordonner pour prier à la même heure, à distance. « Souvenez-vous que, si Dieu a élevé le lien nuptial à la dignité de sacrement, de source de grâce et de force, il ne vous y donne pas la persévérance sans votre propre et constante coopération. Or, vous coopérez à l’action de Dieu par la prière quotidienne, par la maîtrise de vos penchants et de vos sentiments (surtout s’il vous fallait vivre quelques temps séparés l’un de l’autre), par une étroite union au Christ dans l’Eucharistie, le pain des forts, de ces forts qui savent, au prix de n’importe quels sacrifices et renoncements, maintenir sans tache la chasteté et la fidélité conjugales. » (Pie XII, discours aux jeunes époux, 15/07/1942)

Des photos et souvenirs, au foyer comme dans le logement temporaire de l’époux, des images pieuses ou objets familiers entretiendront le lien du souvenir et de l’affection.

Le contact fréquent entre époux, au téléphone, pas seulement par mail ou whatsapp aura pour but de garder l’unité à travers un gros effort d’écoute de la part du mari. Écouter l’épouse partager ses joies et ses soucis, ses émotions et ses pensées. S’intéresser aux enfants, réfléchir ensemble mais avec une attention accrue pour celle qui est sur le terrain ! Le père aura intérêt à écrire à ses enfants de temps en temps, ou à leur parler au téléphone : il montre ainsi qu’il pense à eux ! Si le retour chaque week-end n’est pas possible, les époux échangeront quelques lettres : elles sont plus appropriées que les réseaux sociaux pour partager les vraies joies et peines, des confidences mutuelles, des projets, des intentions ou pensées qui peuvent s’élever à des considérations spirituelles qui les grandiront.

Il faut préserver ou organiser des moments de qualité, entre époux et en famille, chaque week-end et plus spécialement lors de vacances ou à la fin de la période de séparation. Certains militaires après une mission de 6 mois en opérations, organisent un beau voyage en famille pour se retrouver et pour créer des souvenirs positifs qui domineront sur ceux de la séparation.

Enfin, il est vital de savoir s’arrêter, avant que l’usure ne soit trop forte, donc de reconsidérer régulièrement l’évolution des circonstances qui dictent le devoir, et de chercher toutes les occasions de revenir à une situation normale.

L’unité de la famille, clé de sa sainteté

La famille catholique est le reflet de la sainte Trinité : les parents (image de Dieu le Père), les enfants, l’unité de la famille (représentant l’Esprit Saint, qui unit les autres personnes). Prenons bien conseil pour discerner notre vrai devoir lorsque cette unité est mise en danger par une séparation afin de préserver ce commandement : « que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni. »

 « Que nulle séparation de temps ou de lieux, chers jeunes époux, ne relâche le lien de votre amour, ce lien que Dieu a béni, que Dieu a consacré. Restez fidèles à Dieu, et Dieu gardera votre amour immaculé et fécond. » (Pie XII – 15/07/1942)

Hervé Lepère

 

1 Le Padre Pio est évidemment saint mais sa messe n’est pas célébrée dans les lieux de culte de la FSSPX et des chapelles amies en raison des doutes qui pèsent sur la procédure des canonisations revue après le Concile.