Confiance en l’autre,   confiance en Dieu  

Parler de la confiance en général est un sujet tellement vaste que l’on se perdrait à l’explorer, si l’on ne se restreignait à l’étude de l’une de ses parties plutôt qu’à son tout. Le monde d’aujourd’hui, tout imbu d’individualisme qu’il est, met en avant la confiance en soi comme clé du bonheur et de la réussite. Les avis, tous plus scientifiques les uns que les autres, de « coachs de développement personnel » ou de psychologues avisés, fleurissent dans la littérature moderne ou sur le web, et les réclames pour des séances privées ou en groupe foisonnent sur le comptoir des commerces ou aux panneaux d’affichage. Il est certes primordial à l’homme moderne de rétablir le déséquilibre mental causé par la perte de repères spirituels et moraux de notre temps, mais il n’est pas lieu d’en discuter ici. Il nous paraît important de se pencher plutôt sur le côté social de la confiance, c’est-à-dire envisagée par rapport au prochain, et plus ultimement à Dieu. Ces deux points seront abordés séparément, après avoir d’abord défini plus précisément ce que l’on entend par confiance.

Qu’est-ce-que la confiance ?

Ce mot est issu du latin confidentia, mais est également influencé par l’ancien français fiance, c’est-à-dire Foi. On le retrouve encore aujourd’hui dans fiancé. Confiance peut s’entendre sous plusieurs sens : avoir confiance dans l’autre, avoir confiance en soi, avoir confiance dans une situation donnée1. Il s’agit de l’assurance que l’on a : assurance dans la bonne volonté ou de la bienveillance de quelqu’un envers soi, assurance dans ses propres forces ou assurance dans le succès d’un moment. La confiance est donc un sentiment. Or, comme tout sentiment, elle va dépendre en partie du tempérament de chacun, être soumise à des possibles changements d’humeur, ou bien varier en fonction des expériences vécues. Un inconnu peut instantanément gagner notre confiance, tout comme un ami de longue date peut la perdre du jour au lendemain. Autrement, un tempérament mélancolique sera prompt à accorder sa confiance, mais également à la retirer2.

Comme tout sentiment, la confiance aura besoin d’être soumise à l’œuvre de la raison pour être vraiment bonne, même si elle est particulièrement difficile à diriger. On peut, en effet, avancer qu’on a confiance ou qu’on ne l’a pas, qu’elle ne naît pas sur commande. Cela est vrai, mais il ne tient qu’à nous de la laisser s’exprimer ou de la contraindre. Le danger est celui que la Fontaine expose dans sa fable des poissons qui se laissent piéger par le cormoran3, c’est-à-dire de faire confiance à un séducteur, beau parleur ne cherchant qu’à abuser de l’autre : « l’on ne doit jamais avoir de confiance / En ceux qui sont mangeurs de gens.»4 Le proverbe populaire « La confiance se mérite » avertit du danger que courent les âmes trop crédules ou trop naïves pour se méfier, ou tout au moins envisager que l’autre n’est peut-être pas aussi bon qu’il le paraît5, ce qui nous mène à envisager un peu plus en profondeur la confiance dans les rapports à l’autre.

La confiance en l’autre

La confiance en l’autre est le fondement de toute vie en société. Comment pourrait-on vivre ensemble s’il fallait se méfier à chaque instant de son voisin ou même de sa propre famille ? On peut la définir plus précisément comme l’assurance d’une certaine bienveillance de l’autre envers soi, et qu’il ne nous trompera pas. Elle est à l’origine de l’amitié et de toute relation humaine, et en suit les trois différents degrés, selon qu’elle se base sur l’utilité, le plaisir ou la vertu6. On peut ainsi avoir confiance en son boulanger, en son collègue de travail avec qui on partage des bons moments, ou en son plus proche ami, mais il est évident que l’intensité varie du boulanger à l’ami, ce dernier nous voulant généralement plus de bien que le premier, et étant aimé pour autre chose que les services qu’il nous rend. D’ailleurs, dans le cas où le lien de confiance serait rompu, il s’avère plus aisé de trouver un nouveau boulanger qu’un nouvel ami. Poussons plus loin ces considérations sur la confiance envers l’autre, qui revêt une importance toute particulière dans le cadre de la famille.

Concernant la relation de confiance au sein de la famille, penchons-nous principalement sur la confiance entre les époux. La confiance mutuelle entre époux est une évidence de prime abord, puisqu’ils ont fait le choix de se marier et de fonder une famille. Cependant, la confiance qu’ils se portent peut être altérée malgré l’amour qu’ils se sont promis. La calomnie ou les indiscrétions de proches sont à l’origine de bien des discordes dans le couple, venant insidieusement ou même brutalement briser ce lien que l’on croyait incorruptible entre le mari et sa femme. On préfère faire confiance à un ami ou à une connaissance, plutôt qu’à celui ou celle qui partage notre vie. La confiance entre époux est nécessaire à la stabilité de la famille. Comment cette dernière pourrait rester unie si les deux autorités se méfient l’une de l’autre ? La relation de confiance ne peut évidemment plus durer en cas de chute avérée et sans repentance, mais sinon il est du devoir des époux de la conserver, et de la rétablir le cas échéant. Pour conclure ici sur cette question de la confiance entre époux, bien qu’il y aurait matière à en parler plus longtemps, nous pouvons ajouter qu’une méfiance, ou tout du moins un manque de confiance visible entre époux, ne pourra qu’être remarqué par les enfants, provoquant facilement un affaiblissement de la foi qu’ils ont dans leurs parents.

Confiance en Dieu

La question de l’abandon de l’âme en Dieu est un sujet déjà abondamment traité. Soulignons simplement que seul, Il est digne de confiance : nous a-t-Il jamais abandonnés et laissés à nous-mêmes ? Intéressons-nous plutôt à deux dangers qui guettent l’homme dans sa relation à Dieu et à sa Providence, à savoir l’angélisme et l’activisme.

L’angélisme est l’attitude de l’âme qui, invoquant la toute puissance de Dieu et Son amour infini pour nous, se retranche dans une sorte d’apathie et de passivité : « le Salut et la victoire de Dieu sur le démon est certaine, alors pourquoi se démener à combattre le Mal et à corriger l’erreur ? Ne serait-ce pas un manque de confiance dans la Providence ? Prions le Bon Dieu et ne nous soucions pas de tout cela, les méchants seront damnés et les bons seront sauvés ». Il est bien vrai que Dieu peut tout et sauvera les bons, mais Il exige notre participation au combat céleste. Ce combat se mène d’abord contre nous, mais aussi contre les ennemis de Sa gloire et contre l’erreur. N’a-t-on jamais vu un digne serviteur laisser son maître subir les insultes et les outrages de ses adversaires ? Si nous ne sommes pas prêts à nous battre pour ce que nous aimons, quelle sorte d’amour est-ce là ? Cette confiance déréglée a donné naissance à une hérésie appelée le Quiétisme, apparue au XVIIème siècle avec le prêtre Miguel de Molinos, puis portée par Fénelon, et condamnée en 1687. Elle est présente encore aujourd’hui dans diverses sectes protestantes comme les Quakers7.

L’activisme, dans un sens contraire, est une tendance à privilégier l’action avant tout. L’activiste avance que le Paradis « appartient aux violents8 », et que le Bon Dieu nous laisse mener nous-mêmes le combat spirituel pour séparer les forts des faibles, les serviteurs méritants des serviteurs infidèles. Il est de tous les combats pour la défense de l’Eglise, de toutes les manifestations, de toutes les actions, se dépense sans compter dans les associations et les cercles chrétiens, et considère qu’agir est plus important que prier. Le mal est tellement présent qu’il faut bien donner un coup de pouce au Bon Dieu, n’est-ce pas ? Pour lui, l’action apostolique et chrétienne est avant tout une question d’efficacité, il est prêt à sacrifier un peu de la Vérité, tant que cela permet d’attirer un plus grand monde et de « marquer des points ». Derrière cette attitude se cache souvent une certaine angoisse : si je ne fais pas tout cela, serais-je sauvé ? Il oublie que si Dieu exige de nous des actions, Il se réserve seul de les mener au succès ou non. L’activiste fait davantage confiance en ses propres forces qu’en Dieu et en la Providence. Cela a mené à des erreurs comme l’Américanisme, aussi appelé « Hérésie des œuvres », né à la fin du XIXème dans la communauté catholique des Etats-Unis9.

Le remède à ces deux erreurs est un équilibre entre prière et action, suivant les mots de saint Ignace de Loyola : « Prie comme si tout dépendait de Dieu, et agis comme si tout dépendait de toi ». Quoiqu’il arrive, l’homme n’est qu’un instrument de la volonté de Dieu, il suffit de s’abandonner en Lui et de Lui accorder toute notre confiance, Il nous conduira ensuite où Il aura décidé.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce vaste sujet de la confiance : sa place dans la relation entre amis, son application dans la relation entre supérieur et subordonné, son importance dans l’épanouissement personnel. Le plus important a semblé être de lui redonner sa place de vertu sociale, nécessaire à la concorde et à l’harmonie dans la cité et dans la famille, et d’avertir de quelques dangers que peut représenter une confiance déréglée.

La confiance est un véritable trésor qu’il est urgent de protéger : elle ne doit pas se donner à la légère, et encore moins légèrement se reprendre. Dans ce monde moderne où règnent le culte de la superficialité et le mensonge, la confiance saine et indéfectible se fait rare. Mais quelles que puissent être les déceptions rencontrées dans nos relations humaines, n’oublions pas que Dieu seul est fidèle et parfaitement digne de confiance : tant que l’homme sera homme, il pourra décevoir. Ne nous scandalisons pas si notre prochain défaille, et n’hésitons pas à lui accorder de nouveau notre confiance, comme nous-mêmes, nous aimerions que les autres gardent confiance en nous.

R.J.                                     

1 Comme convenu plus haut, nous concentrerons notre propos uniquement sur la confiance en l’autre.

2 Cf Les Tempéraments de Conrad HOCK, ou Les Passions du R.P. LEJEUNE

3 Livre X, fable 3 : Les poissons et le Cormoran

4 Idem

5 Attention ! Il s’agit ici d’avertir contre les dangers d’une confiance excessive, et non pas de promouvoir la méfiance comme base des rapports sociaux.

6 Pour approfondir ce sujet des degrés de l’amitié, se référer à l’excellent Ethique à Nicomaque de Aristote, au livre huit.

7 Entre autres points, le Quiétisme soutient qu’il est inutile de combattre les tentations, Dieu venant ultimement nous sauver de notre péché.

8 Mat. XI, 12

9 Ce courant est condamné par le Pape Léon XIII en 1899.