Réparation

Christianisme secondaire

 La récente affirmation de Roselyne Bachelot qu’il serait « impossible de conserver toutes les églises de France en raison du budget que leur entretien nécessite » découle de fait de la séparation de l’Église et de l’État, qui fit des édifices religieux la propriété de communes aujourd’hui chargées d’entretenir ce qui ne serait plus, aux yeux de l’ex-ministre de la culture, qu’un encombrant patrimoine religieux. Mais son constat témoigne surtout de ce « christianisme secondaire », subtilement analysé par Romano Amerio dans un ouvrage déjà ancien, Iota Unum, et qui est une des conséquences d’une philosophie humaniste à la manœuvre lors du concile Vatican II. L’Église post conciliaire, écrit le philosophe italien1, ne considère plus le christianisme que sous un aspect uniquement terrestre, comme un modèle de perfection civilisationnelle. On identifie le christianisme à ses effets, qui furent bien d’apporter l’ordre, la culture, la civilisation, tout en négligeant son essence, son action et ses fins surnaturelles. C’est une erreur, car le culte dû à Dieu devient secondaire par rapport à la notion moderne de patrimoine humain, qui, en traitant le catholicisme comme un fait historique, certes fondateur, paraissent le défendre, mais le font passer en réalité au second plan par rapport à ses fruits civilisationnels. Dès lors, peuvent dire certains, à quoi bon conserver toutes ces églises ? D’autant plus que ce fut la conséquence de Vatican II, de promptement les vider de la plus grande partie de leurs fidèles… Si les français réduisent le catholicisme à un héritage patrimonial, ils trahissent le culte qu’ils doivent rendre à Dieu. Jérusalem n’a-t-elle pas perdu son Temple pour n’avoir pas accepté son Messie en son sein ?

 

Eglises vandalisées

Dans le froid mordant de cet après-midi du 21 janvier 2023, jour anniversaire de l’assassinat de Louis XVI, un petit groupe de catholiques emmenés par leur abbé se rassembla devant l’église Saint-Louis-Roi de Champagne au Mont-d’or, qui venait d’être vandalisée onze jours plus tôt. L’église étant close, le chapelet de réparation fut donc récité à genoux à même les marches. La semaine précédente, l’archevêque de Lyon s’était lui-même déplacé pour célébrer un rite pénitentiel. Interrogé par la presse locale, le curé de l’église, parlant d’une « volonté manifeste d’attenter à la sainteté du lieu », avait alors donné le détail de la profanation : chemin de croix et tableaux du chœur détruits, ambon renversé, deux crucifix brisés en morceaux, des livres, des cierges, des vases jetés sur le sol, la crèche retournée et endommagée, trois vitraux significativement abîmés… L’inénarrable ministre des cultes s’était empressé de twitter son « soutien aux catholiques du Rhône ». Peu après, identifié par la vidéo-surveillance, on plaça en garde à vue un individu avant qu’un expert psychiatrique ne conclût à des « troubles du comportement » …

 

Statues indésirables

Une autre affaire concernant une statue de la Très Sainte Vierge fit parler d’elle à l’autre bout du pays. D’abord placée dans un jardin privé, elle avait été en 1983 offerte à la commune de La Flotte-en-Ré, qui l’installa à un carrefour. En 2020, une association de laïcards, La Libre  pensée 17, a saisi la justice au nom de la loi >>>  >>> interdisant l’installation de monuments à caractère religieux sur le domaine public. Le maire allégua naïvement qu’une statue de la Sainte Vierge relève de la civilisation française, au même titre que celle d’un roi ou de Napoléon, ce que le tribunal contesta en soulignant à raison la dimension éminemment religieuse de l’œuvre incriminée, dimension que l’élu faisait mine de ne plus percevoir : à trop jouer avec le feu en limitant le christianisme à une simple valeur culturelle ou nationale, voilà le résultat ! Le « christianisme secondaire » avait encore frappé, et par lui, cette idée que la pensée postconciliaire a élevé au rang d’opinion commune, « que la participation de tous les individus au gouvernement de la communauté politique serait affaire de justice naturelle ».

 

Dans le tourment de la souveraineté populaire

Pour ses adeptes, en effet, le « christianisme secondaire » serait une doctrine essentiellement démocratique ; et les principes révolutionnaires de liberté, égalité, fraternité dériveraient naturellement de cette charité chrétienne introduite dans le monde par l’Évangile de Notre Seigneur Jésus-Christ. Romano Amerio cite un document de l’épiscopat français de 1981 qui prétend même que « les principes de 1789 sont la substance du christianisme et que l’Église s’est tardivement mise à la défendre ». Donc, poursuit ironiquement Amerio, « à reconnaître sa propre substance » … On voit combien de telles allégations conduisent la raison dans les voies tortueuses du paradoxe. Car jamais l’Église de Jésus-Christ n’a supposé que l’autorité pût venir de la souveraineté populaire, ni même d’un quelconque droit humain : l’Église, au contraire, a toujours affirmé que toute autorité provient de Dieu. Mais ce concept de souveraineté populaire, à laquelle le concile a délibérément soumis l’Église contemporaine, règne dorénavant en dogme dans les esprits. Faut-il s’y accorder, lorsque le gouvernement vote des lois iniques allant contre Dieu, ou que l’épiscopat le soutient implicitement par des propos laxistes ? Peut-on encore se soumettre à ce type d’autorité sans en établir une critique intellectuelle, au risque de sombrer dans une tentation d’orgueil ou une indignation morale stérile ? La bonne posture est, me semble-t-il, de remettre le christianisme à sa place, de secondaire à « Dieu premier servi » !

 

Un combat pour le salut des âmes

La France est de Dieu ou elle n’est pas, point final ! Non, le christianisme n’est pas seulement une affaire civilisationnelle, c’est un combat pour le salut de la multitude ! Non, les principes de 89 ont été pensés en loges, jamais ex cathedra !  C’est ce qu’ont compris ces milliers d’anonymes de « La France qui prie » qui, par poignées de trois à vingt personnes, se retrouvent chaque mercredi devant un calvaire, une statue, le perron d’une église fermée, pour prier un chapelet dans l’espace public. C’est ce qu’ont compris ces autres catholiques qui, çà et là, se réunissent pour des prières de réparation à chaque fois qu’un acte christianophobe est commis quelque part. Ils tournent leur espérance vers l’Église triomphante ; l’Église triomphante ne peut se réjouir de la faiblesse de l’Église militante, mais elle est toujours prête à répandre ses grâces sur les quelques-uns déterminés à servir Dieu, qui ont compris que même si la sauvegarde des pierres compte, cette sauvegarde n’aura de sens, de mérites et d’effets que si l’on mène le combat pour le véritable enjeu apostolique : celui du salut des âmes dans le respect du magistère inaltérable de l’Église.

G. Guindon

 

1 Romano Amerio, Iota Unum, chapitre XXII, « Civilisation et christianisme secondaire », pp 412-421, NEL, 1987

2 Romano Amerio, Iota Unum, chapitre XIII, « La démocratie dans l’Eglise », pp 412-421, NEL, 1987