Tintin au pays des soviets (suite et fin)

           Après une visite d’usine si intrigante, notre reporter intrépide prenant son courage à deux mains, décida d’aller rencontrer ses dirigeants afin de mieux comprendre leurs objectifs.

           En entrant dans le couloir menant aux bureaux, couloir sombre et qui lui parut interminable, il aperçut sur les murs une grande galerie d’images, agrémentées de citations d’hommes célèbres, retraçant l’historique de cette fabrique de la société moderne et les idées ayant conduit à sa réalisation.

  La première de ces citations était de Descartes, « L’homme est maître et possesseur de la nature ». Suivait de près celle de Rousseau : « Que l’élève n’apprenne pas la science, qu’il l’invente ». Ainsi qu’une gravure représentant la décapitation du roi Louis XVI en 1793, comme si la domination de la nature puis l’invention d’un contrat social, issu de l’imagination – et sans lien avec la nature humaine et le réel – avaient conduit l’intelligence humaine à couper le lien qui soumettait la société à l’autorité divine. Se détachant alors de son objet qui est la découverte de la vérité par l’appréhension du réel, l’intelligence humaine s’est à ce moment transformée et focalisée uniquement sur la dernière de ses facultés, l’imagination. Elle a, à partir de celle-ci, élaboré un modèle de société sans Dieu et sans nature, censée apporter la paix et le bonheur sur Terre. Dieu n’ayant pas apporté ni promis le bonheur sur terre, mais dans les cieux, et étant un signe de contradiction, il convient de l’éliminer de ces modèles de société si l’on veut parvenir à la paix et au bonheur de l’Humanité. Or éliminer Dieu est un vaste programme pour une société qui s’est construite sur Lui, avec Lui et par Lui depuis sa création.

  Il faut pour cela commencer par nier tout ce qui peut ramener l’homme à Lui. La première chose étant la notion de nature, nature humaine, nature politique, nature divine, etc… qui ne seraient en fait que des conventions permettant à une partie de l’humanité de dominer l’autre. Cela conduit progressivement à la destruction de la famille et de toutes les communautés elles-mêmes, basées sur la nature de l’homme, de la femme et de l’homme comme animal social et politique, pour parvenir à un individu libéré de toute entrave. A cet endroit du couloir figuraient des photos de l’atelier de transformation de la vérité et d’exploitation des émotions décrits dans les reportages précédents.

  Il importe en effet de transformer en profondeur l’intelligence commune de l’homme pour éviter que celle-ci ne soit capable de retourner à ses anciennes amours qu’il nomme « vérités ». Le cas échéant, la révolte et la guerre se rapprocheraient et tout serait à recommencer. D’où l’importance de changer les mots pour changer la conscience, et la rendre incapable de retrouver le chemin de la vérité.

  Ici notre reporter pouvait voir la photo d’une ville moderne, scintillant dans la nuit, avec ses immenses tours qui semblent s’élever jusqu’au ciel, symbole de la puissance et de la beauté de nos sociétés modernes dans un monde organisé, efficace, utile et performant, rassemblant des individus libérés de toute contrainte sociale, mentale et géographique.

  Toutes, non, une contrainte résiste encore et toujours à l’Homo Fabricus : celle de la mort. Mais que l’on se rassure, c’est l’objectif de notre fabrique pour les années à venir, un grand chantier en préparation.

  Un des employés de l’entreprise d’ailleurs cité sur le mur l’affirme : « Nous allons obtenir la maîtrise de notre destin, nous allons prendre notre mortalité en main1 ».

  Telle est la dernière innovation, le dernier objectif ambitieux, sur lequel tous les chercheurs de l’usine travaillent. Ce qui éclaire la raison d’être de l’entreprise est affiché en caractères immenses et colorés au-dessus de la porte du bureau du PDG :

« RENDRE L’HUMANITE HEUREUSE ETERNELLEMENT »

  Notre reporter tourna alors la poignée de cette porte brillante espérant rencontrer enfin le PDG de cette œuvre prometteuse et altruiste.

  Le bureau était vide, vide de tout, et une odeur de soufre s’en dégageait, c’est alors qu’il comprit et que son intelligence, heureusement encore capable de saisir le vrai, aperçut la figure hideuse du véritable PDG. Ainsi, tout ce qu’il avait aperçu au cours de sa visite trouvait son explication dans ce bureau du singe de Dieu qui fait miroiter à l’homme depuis sa création un impossible bonheur sans Dieu.

  Vous vous en doutez, cette entreprise prospère n’a jamais été si rentable qu’aujourd’hui, cependant Dieu veille et, comme à la Passion, attend son heure pour faire resplendir la vérité.

Antoine

1 Kurzweil employé de Google dans Humanité 2.0, 2007