LA QUESTION DES ENFANTS MORTS SANS BAPTEME

           L’une des plus grandes épreuves que peuvent rencontrer des parents chrétiens est la mort de l’un de leurs enfants et leur souffrance s’accroît encore lorsque celui-ci meurt sans être baptisé, alors qu’il n’y a eu aucune faute de leur part. Il n’est pas rare de rencontrer une douloureuse incompréhension à propos des limbes. Nous voudrions commencer par citer un discours de Pie XII au sujet du devoir de baptiser les enfants avant de définir avec quel degré d’autorité l’Eglise s’exprime sur la question des limbes (II). Sans pouvoir ni vouloir nous démarquer de cette doctrine, il nous semble que des considérations consolantes peuvent être données à ce sujet (III).

 

I – Le discours de Pie XII du 29 octobre 1951

 

  Nous nous tournons vers l’autorité du dernier pape avant le Concile afin d’entendre de sa bouche l’enseignement traditionnel de l’Eglise sur le sort des enfants morts sans baptême et alors qu’ils n’avaient pas encore l’âge de raison. Pie XII l’a notamment rappelé dans son discours à l’occasion du Congrès des sages-femmes catholiques d’Italie, le 29 octobre 1951. Il leur dit qu’elles peuvent avoir le devoir, en cas de nécessité, de conférer elles-mêmes le baptême et il leur explique pourquoi :

« Si ce que nous avons dit jusqu’ici regarde la protection et le soin de la vie naturelle, à bien plus forte raison devons-nous l’appliquer à la vie surnaturelle que le nouveau-né reçoit par le baptême.

Dans l’ordre présent, il n’y a pas d’autre moyen de communiquer cette vie à l’enfant qui n’a pas encore l’usage de la raison. Et cependant, l’état de grâce, au moment de la mort, est absolument nécessaire au salut. Sans cela, il n’est pas possible d’arriver à la félicité surnaturelle, à la vision béatifique de Dieu. Un acte d’amour peut suffire à l’adulte pour acquérir la grâce sanctifiante et suppléer au manque du baptême. Pour celui qui n’est pas né, ou pour le nouveau-né, cette voie n’est pas encore ouverte. Donc, si l’on considère que la charité envers le prochain impose de l’assister en cas de nécessité, si cette obligation est d’autant plus grave et urgente qu’est plus grand le bien à procurer ou le mal à éviter, et que celui qui est dans le besoin a moins de facilité pour s’aider et se sauver par lui-même, alors il est aisé de comprendre la grande importance de pourvoir au baptême d’un enfant privé de tout usage de la raison et qui se trouve en grave danger ou devant une mort assurée. »

 

  On voit que Pie XII affirme ici de la façon la plus nette que la réception du sacrement de baptême est le seul moyen d’assurer aux enfants morts avant l’âge de raison d’aller au Ciel et, en cela, il est l’écho de toute la tradition ecclésiastique, enseignement consacré par les Conciles et les Pères de l’Eglise.

 

II – Entre un dogme et une simple opinion théologique

 

  Il est de foi qu’une personne humaine, même marquée du seul péché originel, ne peut jouir de la vision béatifique. Il serait cependant excessif de déduire de cette vérité que les enfants morts sans baptême sont certainement privés de la vision béatifique. L’Eglise ne l’a pas fait car elle sait que « Dieu n’a pas enchaîné sa toute-puissance aux sacrements1 ». On ne peut donc « nier la possibilité de voies exceptionnelles connues et voulues de Dieu seul2 ». Dieu nous a laissés dans l’ignorance sur ces possibilités de telle manière que nous devons tout faire pour assurer le sacrement du baptême à tous les enfants sans escompter une action mystérieuse de Dieu qui ne nous a pas été révélée.

 

  La croyance aux limbes pour les enfants morts sans avoir été baptisés n’est donc ni un dogme de foi ni même une conclusion théologique. Elle est cependant une « doctrine communément enseignée et s’imposant à notre adhésion sous peine de faute de témérité3 ». Monseigneur Gaudel, qui a rédigé l’article « Limbes » dans le « Dictionnaire de théologie catholique » exprime, quant à lui, que la croyance aux limbes, sans être un article de foi, s’impose cependant, sous peine de péché grave de témérité, au catholique. On ne peut aucunement se contenter d’y voir donc une simple opinion théologique parmi d’autres.

 

III – Adoucissements

 

  Les prêtres n’ont pas le droit, même dans le bon désir d’adoucir la peine des parents, de prononcer des paroles qui amenuisent ou ébranlent les fondements de cette croyance traditionnelle. Dans l’autre sens, ils ne doivent pas non plus les obliger à exclure de leurs esprits tout espoir de salut pour leurs enfants.

Nous avons trouvé ces propos du Père A. Michel, excellent théologien, qui a combattu courageusement les assauts des théologiens d’avant-garde sur le sujet des limbes, dignes d’être connus :

« Nous ne voyons aucun inconvénient au point de vue de la foi et de la théologie, d’admettre que les parents chrétiens pourront reconnaître dans l’Au-Delà leurs enfants morts sans baptême. La localisation « dans la vie future ne saurait empêcher la communication des pensées par les idées infuses que Dieu accordera tant aux âmes glorifiées qu’aux âmes des enfants incapables de parvenir à la gloire4. »

 

  Voilà ce que dit aussi M. Brides qui fait autorité en Droit Canonique :

« Sans parler des condoléances et même des consolations que le curé ne manquera pas d’exprimer aux parents chrétiens affligés, nous ne blâmerions pas le prêtre (…) qui réciterait des prières avec les parents à la maison et même bénirait le petit cadavre (…) il ne s’agirait que d’une bénédiction « commune » à la fois invocative et déprécative – même sans formule – qui serait comme une supplication adressée au Père pour qu’il lui plaise de ne pas rejeter loin de lui et même d’adopter, dans sa miséricorde, cet enfant qui n’a pu être ici-bas, un authentique temple du Saint-Esprit.

En outre, aucune prohibition positive ne s’oppose à ce que le prêtre pousse la sympathie jusqu’à prendre part in nigris au cortège funèbre qui conduise le petit cadavre jusqu’au lieu de la sépulture. Cet enterrement n’a rien de « civil » ou « d’antireligieux » ; il est simplement (…) non ecclésiastique parce que la loi de l’Eglise l’impose tel. Rien n’empêche non plus le prêtre de réciter avec l’assistance une dernière prière devant la tombe, par exemple le Notre Père, afin de demander pour les parents désolés le courage et la résignation chrétienne5. »

Conclusion

 

  Voilà comment Monseigneur Besson, qui fut évêque de Nîmes a décrit les limbes des enfants morts sans baptême :

« Laissez monter vers Dieu, du fond du royaume invisible où règnent ces petits enfants l’hymne qu’ils chantent avec les bégaiements de leur langue imparfaite, à la gloire de leur créateur (…) ils adorent Dieu dans la clarté étincelante de ses ouvrages (…) Ils louent Dieu et ils lui rendent grâce d’avoir garanti leur innocence personnelle en les livrant à une mort prématurée. Ils se félicitent de n’avoir pas connu la malice et les dangers de ces péchés qui perdent tant d’âmes tombées d’une si grande chute, parce qu’elles étaient réservées à une si grande gloire6. »

Père Joseph

 

1 Mgr Gaume : “Traité du Saint-Esprit” Ed. Gaume Frères et Dupuy 1864, tome I p. 107

2 A. Michel “Ami du Clergé” 1951, p. 101

3 Ibidem p. 99

4 A. Michel : “Ami du Clergé” 1954, p. 584

5 M. Brides “A. C. “ 1952, p. 63

6 Abbé Jules Corblet “Histoire du sacrement de baptême” Tremblay 1881, tome I, pp. 164 et 165