Notre enfant se fiance  

La plupart du temps, nous l’avons vu précédemment (cf FA n°32), l’engagement dans des fiançailles est le reflet de l’éducation reçue. Soit il se fait dans la droite ligne des principes inculqués, si l’éducation a été équilibrée, soit il se fait dans le rejet, si l’enfant a perçu (nature plus sensible ou fragile) ou souffert de déséquilibres (autorité, affection…). Par ailleurs, aucune famille n’est à l’abri d’un « coup de foudre » malheureux et irréfléchi chez l’un ou l’autre de ses enfants, ou d’un choix délibérément raisonné et opposé à celui des parents. Même après une éducation profondément chrétienne, et naturellement équilibrée, rien n’est jamais gagné d’avance ! Mais enfin, le plus souvent, nous pouvons appliquer l’adage « on juge un arbre à ses fruits ».

Que les parents se rassurent, s’ils ont élevé leurs enfants le mieux qu’ils ont pu, en leur donnant un bon exemple quotidien, le sens du service, du don de soi, d’un travail des vertus chrétiennes, de l’intelligence et de la volonté, cela restera « imprimé », que leurs enfants soient dociles ou rebelles, et quels que soient leurs choix de mariage !

Le père et la mère, après avoir suivi l’instinct de protection mis par Dieu dans leur cœur (celui de « parents-oiseaux »), prennent quelque recul lorsque leur enfant se prépare à s’engager dans des fiançailles, se détachent de cet amour lui-même, au moins en ce qu’il a de trop humain, et le subliment, à l’imitation de l’amour de Dieu pour sa créature : Il lui a donné la vie, Il l’a façonnée, mais Il lui a aussi fait don de la liberté, et Il a permis qu’elle fût faillible. Aussi là se joue le rôle des parents : avertir, éclairer, puis s’effacer, écouter, être là !

Souvenons-nous : lorsque nous avons attendu nos enfants, neuf mois durant, nous avons eu la certitude d’attendre le plus merveilleux bébé du monde… Nous l’avions idéalisé. Il en est de même pour le mariage de nos enfants : nous idéalisons celui ou celle qu’ils épouseront ! Son physique, sa situation professionnelle, ses qualités naturelles et spirituelles… Nous l’imaginons parfait ! Ne voulons-nous pas ce qu’il y a de meilleur pour eux ? Mais cet idéal vu de notre fenêtre de parents, n’est pas forcément ce qui convient le mieux à notre enfant. Bien souvent l’on est un peu surpris du choix qu’il a fait et, les années passant, nous constatons combien, souvent, ce choix lui convient.

Les parents doivent avoir un jugement de prudence, ils doivent d’abord considérer ce que vaut cet amour en tant qu’il doit unir deux êtres sur le plan physique, sur le plan humain, sur le plan chrétien. Quelle profondeur a leur amitié, leur attachement ? Sont-ils d’accord pour toutes les grandes options de la vie ? Ont-ils des points communs d’éducation, de religion, de style de vie, de centres d’intérêts ? Y a-t-il une difficulté d’âge, de santé, de famille, de nationalité, de ressources financières ? Chaque cas est particulier et demande une étude sérieuse. Les parents des deux jeunes gens se rencontreront pour mieux juger la situation, et en parler sans perdre de vue le bien supérieur de leurs enfants.

Apprendre à se connaître

À moins qu’il soit déjà une connaissance de la famille, c’est souvent en voyant vivre le futur conjoint que l’on apprend à le connaître. Il faudra recevoir régulièrement l’un et l’autre des fiancés dans les foyers de leurs parents respectifs. Au fur et à mesure de leurs passages ou séjours, ils se sentiront plus à l’aise, moins surveillés, pour se montrer eux-mêmes. Les parents observeront discrètement, et poseront quelques questions de façon naturelle. Les habitudes familiales demeureront inchangées pour que le nouveau venu découvre mieux sa future belle-famille. Le bonheur en famille, comme en ménage, dépend en partie du respect de cette distance sans familiarité entre les individus, et de la discrétion avec laquelle on la franchit. Pour en venir à se connaître vraiment, les deux jeunes fiancés commencent lentement  à se parler de tout et de rien, puis peu à peu d’eux-mêmes, pour en venir au-delà du domaine « public » et se connaître vraiment : non pas en se disant « ce qu’ils ont » ou « ce qu’ils font », mais « qu’ils sont ». De même les parents respecteront une certaine discrétion pour permettre à l’amitié, puis à l’affection de prendre le temps de grandir et d’atteindre sa maturité. Dans la nature la semence tombe sur le sol et germe lentement. Arrosée par les pluies, les pousses émergent timidement, grandissent sous les caresses du soleil pour se transformer finalement en fleurs et en fruits. En ne respectant pas ces stades naturels de croissance, on peut tuer une amitié naissante aussi facilement qu’on peut tuer un jeune plant.

Conseiller doucement son enfant

Une plus grande intimité se fait entre les parents et leur enfant fiancé, avec la mère surtout à qui on se confie et auprès de qui on se réjouit. Elle aussi, sans chercher à connaître ce qui ne regarde que les jeunes fiancés, continue à conseiller, élever, fortifier… L’amour humain est une « vocation » divine : il vient de Dieu, il va vers Dieu. Les parents encouragent leurs enfants à placer leur temps de fiançailles sous trois signes : Travail, Pureté, Charité.

Travail : pas question de considérer les fiançailles comme une « salle d’attente » qui maintient inactifs, ni comme « un boudoir » où l’on reste entre soi à apprendre à conjuguer le verbe aimer à tous les temps ! Ces deux attitudes rendraient stérile cette importante période de préparation au mariage. Le bon moyen est celui d’un travail de fondations solides pour bâtir ensuite un foyer consacré à Dieu : découverte des caractères, des défauts de l’autre, mais aussi des psychologies masculine et féminine si différentes. Travail pour accepter ces différences, les petites imperfections, et offrir le meilleur de soi en luttant contre ses propres défauts pour l’amour de l’autre. Pour cela chacun développera sa propre vie spirituelle, tout en s’habituant à une prière commune.

Pureté : l’exigence de pureté dans les fiançailles est un don par lequel on prépare une offrande totale de soi-même. Il est normal que cela se présente comme un combat sévère. La première condition est de lutter ensemble, la victoire ne sera efficace que si elle est commune, dans une confiance mutuelle qui ne fera que grandir jusqu’au sacrement. Ce qu’il faut c’est « l’esprit », sans se préoccuper de la frontière entre le « permis » et le « défendu ». Un esprit de sacrifice par lequel grandit l’amour parce que cet effort représente la volonté de protéger, de respecter l’autre, en combattant son propre égoïsme. La jeune fille saura se priver de la tendresse dont elle a soif en ne pensant plus à elle mais à son fiancé. Elle fera tous les sacrifices pour l’aider à grandir lui-même en pureté. Pour le jeune homme, ce qui est déterminant est de vouloir mériter son titre de chef, et donc d’agir comme tel. Manquer à la pureté, c’est trahir son rôle de chef et ne pas protéger ceux dont on a la charge.

Charité : pour être authentiquement chrétiennes, les fiançailles doivent aboutir simultanément à l’amour de Dieu et à l’amour du prochain. Ces efforts concrets sont à réaliser chacun dans sa famille, dans son métier, dans son entourage : délicatesses, services rendus, union des membres de la famille, responsabilité sociale ou paroissiale… Plus tard, jusque dans la vie commune, c’est dans ce sens qu’il faudra développer cette volonté d’aider les autres ensemble pour l’amour de Dieu. On observe souvent deux attitudes chez les fiancés, soit « ils ne sont pas à prendre avec des pincettes », désagréables à la maison, et tout tournés vers leur petit bonheur, soit ils sont rayonnants, détendus, et faisant effort sur eux-mêmes pour se montrer aimables et disponibles, parce qu’ils se préparent à leur vie future où il faudra lutter contre soi-même et se mettre au service des autres.

L’obsession du matériel

Dans toute vie, le temporel se mêle au spirituel, jusqu’à parfois même prendre le dessus dans nos pauvres esprits ! Dans la majorité des cas, ces occupations matérielles font barrière entre les fiancés : ils les dispersent, les opposent, les découragent ou les déçoivent. Et pourtant, ils sont un moyen de croître ensemble. La vie de leur foyer en sera imprégnée, tissée. Souvent, à la fin de leur retraite spirituelle de préparation au mariage, les fiancés s’écrient : « Merveilleuse retraite ! Avec tous nos soucis d’installation et de listes de mariage, nous n’avons pu penser à rien d’autre ! Enfin un peu de tranquillité pour « spiritualiser » notre préparation au mariage ! » Justement, Il ne s’agit pas de s’évader du réel, mais de le maîtriser. Dans la vie conjugale, il faudra maintenir ensemble un équilibre entre le matériel et le spirituel pour ne pas se perdre dans les tâches domestiques ou familiales. Et savoir y trouver une valeur spirituelle pour progresser encore et mieux, dans un esprit de générosité et d’abandon sans se laisser dominer.

Bien des parents considèreront le mariage de leurs enfants comme une perte, une forme de deuil : les voilà qui nous quittent, qui entrent dans une autre famille, ce ne sera plus jamais comme avant, nous ne serons plus « entre nous » ! Disons que le mariage est une sorte d’adieu à l’enfance qui rendait nos enfants dépendants de nous. Mais les avons-nous mis au monde pour nous les réserver ? Certes non ! Ils ont à leur tour leur vie à bâtir.

Nous les avons élevés, armés, fortifiés autant que cela nous a été possible et avec nos grâces d’époux et de parents. C’est à leur tour de transmettre le flambeau de la foi à la génération future. Nous savons que, même si nos fils « quitteront leur père et leur mère », et que nos filles « s’attacheront à leur mari », ils garderont à leurs parents leur affection et leur reconnaissance en retournant régulièrement auprès d’eux, y glanant quelques conseils ou encouragements… Nous savons bien, nous parents, que nos enfants restent bien présents tout au fond de nos cœurs, et que nous avons encore à travailler pour eux en égrenant quotidiennement nos chapelets. Mais pas seulement pour eux puisqu’ils ont enrichi notre famille de charmantes épouses et de gentils maris que nous avons placés tout près d’eux dans notre affection sans bornes !

     Sophie de Lédinghen