Apprendre à voir le beau !  

Une enfant admire une poupée Barbie : « elle est trop belle ! »  Une maîtresse moderne s’extasie devant un gribouillage d’enfant aux couleurs agressives : « bravo, c’est très beau ! »

Un jeune homme remarque une silhouette élancée et apprêtée : « elle est belle ! » C’est peut-être une jolie fille, mais s’il s’avère que c’est une pimbèche ou une précieuse, dirons-nous encore qu’elle est belle ? De tous temps, la femme a été le symbole de la beauté. Mais croyons-nous les magazines qui réduisent la beauté féminine à un physique et à son rituel de beauté : maquillage, soins et parfums ?

Ne laissons pas nos enfants croire que la beauté est une question d’émotion, que des goûts et des couleurs, on ne peut pas discuter, car c’est une question personnelle. Dire que le Beau tient seulement à l’opinion que chacun s’en fait, revient à dire que le Beau n’existe pas.

Ce n’est pas parce qu’un aveugle ne le voit pas que le paysage n’est pas beau, ni parce qu’un ignorant n’en saisit pas le sens qu’un poème est moins beau !

Il nous faut donc ouvrir notre regard à la lumière et éduquer notre intelligence pour voir et aimer le Beau.

 

Voir la beauté dans des genres variés

La beauté d’un paysage n’est pas la même que celle d’une démonstration mathématique, d’un acte de générosité, ou d’un être humain. On parlera même d’une belle récolte, d’un beau chahut ou d’une belle mort…

Quel est le point commun ? En s’inspirant de la tradition Thomiste, disons que plusieurs éléments sont nécessaires pour faire une chose belle : sa perfection (ou plénitude) par rapport à sa finalité, l’harmonie ou les proportions dans la variété des aspects qui la composent, la splendeur ou l’éclat de sa forme : notre intelligence aime la lumière et l’intelligibilité.

Ainsi une maison qui remplit visiblement sa finalité d’être le foyer chaleureux où l’on se retrouve, un lieu qui favorise le repos, et un lien agréable avec son environnement, exprimera une certaine harmonie. Si elle a un certain éclat, sans excès, la maison sera belle.

En revanche, les quartiers modernes aux immeubles composés comme des assemblages irréguliers de cubes de béton, construits par ceux qui pensent que « la maison est une machine à habiter » (Le Corbusier) ne génèrent ni beauté ni bien-être ! Leurs inventeurs se sont trompés de finalité, l’harmonie est absente, le matérialisme utilitariste domine.

« Le Beau, c’est la splendeur de la perfection, ou si l’on aime mieux, la splendeur de l’idéal »1.

 

Apprendre le Beau à l’extérieur

Nous comprendrons progressivement ces notions abstraites lors de visites culturelles ou de promenades dans la nature. Ainsi, nous saisissons bien la plénitude d’une cathédrale. La cathédrale est tout ce qu’elle doit être et possède tout ce qu’elle doit avoir : la capacité de rassemblement, l’hébergement des saintes espèces. C’est le lieu du sacrifice, de la prière, du culte, du mystère, de la prédication… Elle est construite pour la gloire de Dieu et exprime la piété d’un peuple.

Elle nous transporte de l’harmonie et du symbolisme de ses lignes, de son plan et de ses proportions, de sa décoration instructive (vitraux ou statues), de sa lumière ou de sa pénombre qui aident à la prière et au recueillement.

De l’extérieur, elle est un haut lieu de la ville qui attire les regards. Surabondante plénitude, pleine d’harmonie et de splendeur qui en fait sa beauté2.

Apprenons progressivement à nos enfants à voir ces différents aspects : plénitude par rapport aux finalités, harmonie, splendeur. Prenons-nous aussi le temps de regarder et d’apprendre à observer, à élargir les horizons !

Bien sûr chacun a ses dons, ses compétences, son caractère propre et sa forme de culture personnelle. Certains seront plus à l’aise pour mettre en valeur les merveilles de la nature, pour reconnaître les arbres à leurs feuilles ou les pics montagneux à leur profil, d’autres face aux œuvres d’art, à la musique, à la littérature ou aux sciences… Commençons à la maison, chacun à notre place.

 

Apprendre le Beau à la maison 

L’enfant baigne dans l’atmosphère de la maison. Il s’en imprègne. Jour après jour son intelligence est marquée par ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il dit à la maison. Elle est ainsi fortifiée, assouplie, rassurée ou hélas faussée, racornie.

De l’extérieur, l’enfant rapporte beaucoup de faux trésors : publicités, chansons, attrait des jeux vidéo, fascination pour des vedettes sportives ou musicales, pour des camarades qui osent ce qu’on ne fait pas à la maison… Il faut lui apprendre à trier, à voir et à choisir la beauté : beauté des œuvres matérielles, beauté du travail bien fait, beauté des vertus et de l’amour.

Pour cela rien de tel qu’un climat d’équilibre et de joie, un cadre aimé et harmonieux, quelques belles choses selon les moyens de chacun, des conversations animées et proportionnées aux âges et aux circonstances. Tout ceci, avec sérénité, soutiendra la recherche et l’effort vers le Beau, mais aussi le Vrai et le Bien.

« Quand le Beau vient joindre son éclat séduisant au Vrai et au Bien, l’un et l’autre ne gagnent-ils pas plus aisément, plus sûrement notre cœur ? »1.

C’est pour cela que la peinture de Fra Angelico nous paraît si belle : « d’une manière qui ne cesse de nous étonner, l’œuvre de Fra Angelico est à la fois plus ancrée dans la réalité humaine, que celle, souvent très idéalisée et très statique de ses prédécesseurs, et beaucoup plus immatérielle (…) Dans sa peinture comme en théologie, la grâce n’ignore ou ne détruit pas la nature, elle la couronne ». « Telle est la gloire de Fra Angelico d’être le peintre qui pour le plaisir de nos yeux et surtout le bonheur de nos âmes nous aura entrouvert le ciel pour nous le faire voir »3.

Les hommes ont besoin de l’enthousiasme du Beau pour surmonter les défis qui se posent à eux. Le Beau est une voie d’accès à la réalité la plus profonde de l’homme et du monde, et ainsi à Dieu. Donnons du Beau à nos enfants et à nos contemporains !

    Hervé Lepère