Le vieil homme attendait devant la porte. A travers la vitre, il observait la petite route qui montait jusqu’à chez lui. Il guettait la venue de l’assistante de vie. Pour le moment, seuls quelques moineaux piaillaient sur le goudron, sautillant dans la lumière du soleil et secouant leurs plumes dans la poussière. Enfin, une voiture arriva et une jeune femme en descendit. Elle salua le vieil homme, comme d’habitude. « Comment va votre femme ce matin ? » « Pas mieux qu’hier. » « Je monte m’occuper d’elle.» L’homme remercia par un sourire. Puis il enfila son manteau et sortit. L’air frais de ce mois de mars le revigora.
Il aimait ses petites promenades. Les visites de l’assistante de vie lui offraient quelques instants précieux où il pouvait laisser le chevet de sa femme malade pour couper le bois, biner le potager, ou simplement flâner sur les chemins entre les collines qui l’avaient vu grandir. Parfois, il croisait les enfants des voisins d’en face. Ils étaient joyeux et le saluaient gaiement. Souvent, ils lui proposaient leur aide, pour ramasser les haricots ou désherber. Le vieil homme savait qu’ils étaient chrétiens. Il les avait vus parfois prier le chapelet sur le chemin, et puis les enfants ne s’en cachaient pas. En fait, ils en étaient fiers. Ils parlaient de Jésus, parfois ils chantaient des cantiques, spontanément, dans leurs jeux. Pas comme une prière, plus comme un rire, juste parce que leur joie avait besoin d’éclater dans l’air. Le vieil homme se demandait si leur joie de vivre et leur simplicité ne jaillissaient finalement pas de cette foi, qu’il avait connue lorsque jadis il gambadait sur les mêmes chemins, en culotte courte. C’était il y a 70 ans. Depuis, il avait oublié le Bon Dieu. Sa femme mourrait doucement, tourmentée par la maladie, ne lui laissant aucune liberté. Il était impossible de la laisser seule. Puis le temps l’emporterait lui-aussi, comme il emporte tout le monde dans la mort. En attendant, le potager poussait et les joyeux enfants apportaient la gaieté, et peut-être un peu plus. Un jour, avec leurs parents, ils lui amèneraient le prêtre. Ils lui en avaient parlé une fois. L’idée faisait peu à peu son chemin. Cela lui apportait de la joie. Alors il marchait sur le chemin, les mains dans les poches de son manteau, les yeux rieurs dans la lumière du soleil.
Le Bon Dieu a un plan. Il pourrait convertir les âmes, les amener à Lui seul, sans notre aide. Mais Il veut que nous soyons les outils de sa Providence pour aller chercher les âmes qui se détournent de Lui. Oh certes, Il n’attend pas que nous montions sur une estrade improvisée au milieu de la place du village un jour de marché pour prêcher. Ni que nous fassions la morale à tout va, pointant du doigt le péché du voisin et le menaçant de l’enfer. Non, Dieu veut tout simplement rayonner à travers nous. Une âme sainte, une âme fervente et remplie de Dieu n’a pas besoin >>> >>> de faire de beaux discours et d’aller dans des endroits extraordinaires pour ouvrir les âmes au Sauveur. Elle doit simplement être tellement pleine de la grâce de Dieu que celle-ci déborde et ruisselle autour d’elle, faisant éclore des fleurs sur les talus des chemins qu’elle emprunte. Là où Dieu l’a placée, auprès des gens qu’elle croise.
Pour cela, il nous faut d’abord nous remplir de Dieu. Là, nul besoin de conseils, nous savons ce qu’il faut faire : prier, communier, se sacrifier, dire le chapelet, etc. Nous l’avons si souvent entendu ! Qui peut croire que le monde puisse devenir meilleur et les cœurs se convertir sans Dieu ? Sans la prière, nul apostolat ne peut exister. Puis il faut éveiller notre regard aux autres. Si nous ne voyons pas ceux qui sont autour de nous, comment pouvons-nous permettre à Dieu de les toucher à travers nous ? Cela est primordial. Nous sommes chrétiens, cela se voit sur notre figure, sur nos vêtements, dans nos actes. Les gens le savent. Alors si nous les ignorons, si nous ne les saluons pas, si aucun merci ou sourire ne passe nos lèvres, que vont-ils penser ? Ils se diront que les chrétiens sont des menteurs, qu’ils prônent la charité mais qu’ils ne la vivent pas. Enfin, le dernier petit conseil serait de ne pas changer notre discours en fonction d’une situation ou d’un interlocuteur. Là encore ce serait un mensonge. On a vu des gens tenir des discours forts en couleur dans un contexte, puis noyer leur conviction dans un autre. Ainsi, rebelles, nous avons pu invoquer notre sacro-sainte liberté pour refuser de mettre le masque à la messe le dimanche, même si on nous l’a demandé pour ne pas risquer la fermeture du lieu de culte. Puis, malgré peut-être un air furibond derrière l’infâme tissu, nous avons mis notre masque pour faire le plein de nourriture au supermarché. Il était facile de jouer au grand résistant dans un lieu, plus difficile dans l’autre. De même, nous avons parfois beaucoup « Dieu » à la bouche, chez nous, ou sur le parvis en sortant de la messe, mais nous tremblons à l’idée de parler de Dieu ou du prêtre à un collègue de travail, un voisin ou une personne rencontrée sur notre chemin. Et pourtant… Et pourtant peut-être que la vraie force et le vrai courage sont justement de rester des témoins en tout lieu et en tout temps. Sans tonitruer, accuser, excommunier, vilipender, Dieu réserve ce rôle à ses prélats et à certains de ses saints. Non, à la manière du témoin tranquille, de celui qui aime Dieu dans les plus petites choses et dans chaque personne croisée sur son chemin. Sans ostentation mais sans respect humain. Sans accusation ni jugement, mais avec vérité et conseil. Sans sentimentalisme mais avec la véritable charité, cherchant uniquement le salut éternel du prochain.
Enfin, n’ayons pas peur du sacré. Souvent, quand nous parlons de Dieu, nous convoquons à notre secours la science, l’histoire, la philosophie. Cela est bon ! Mais nous oublions parfois le mystère et le sacré. Pourtant, c’est bien cela que les gens recherchent avant tout. N’oublions pas de parler des myriades d’anges qui entourent le trône de Dieu, de l’Immaculée Conception et de l’Incarnation, de la Résurrection qui aveugla et terrorisa les soldats romains, de l’amour de Dieu qui veut aimer personnellement chaque âme. Oh, certes, le miracle du soleil de Fatima, le Saint Suaire inexplicable par la science, l’histoire des premiers chrétiens, toutes ces choses sont des signes que Dieu est là. Mais le plus important n’est-il pas que Dieu nous a aimés au point de se faire chair ? Qu’il a voulu habiter parmi nous dans le seul but de mourir pour nous sauver ? Et me sauver moi en particulier ?
Peut-être pouvons-nous regarder comment font les enfants entre eux. Souvent, ils parlent aux autres de « leur Jésus », parfois gauchement, parfois en disant des bêtises, mais toujours avec une grande foi toute simple et aimante.
Le vieux monsieur pensait au prêtre, à Jésus. Un jour, il ouvrirait son cœur. La clé ? C’était la gaieté des petits enfants, ces joyeux petits apôtres.
Louis d’Henriques