Tradition et modernité, l’alliance impossible ?

Voiture autonome, intelligence artificielle, robotisation, transhumanisme ou encore plus proche de nous, Instagram, Snapchat, Iphone X, puce de paiement, cryptomonnaie… autant de techniques modernes qui n’existaient pas il y a cinq ans et dont on ne parlait pas il y a dix ans mais qui s’invitent dans notre travail et notre vie quotidienne. Qu’en penser ? Faut-il dans un dernier réflexe de survie de l’homme face à la machine tout rejeter en bloc et aller élever des chèvres dans le Larzac ou bien au contraire applaudir béatement au progrès matériel comme source inéluctable du progrès moral et des lendemains heureux ? La question est délicate et il faut nous la poser très régulièrement car ce n’est pas simplement de notre avoir qu’il s’agit, mais parfois de notre être en tant qu’Homme, créature enfant de Dieu.

Si l’on résume l’apport global des techniques modernes à l’humanité, on pourrait dire qu’elles permettent de gagner toujours plus en efficacité, en fiabilité et en répétabilité. Soit de faire plus de choses, mieux, en moins de temps et avec moins de monde. Plusieurs questions se posent alors : que font les gens pendant tout ce temps « gagné »  et comment remplacer le lien social qu’ils établissaient en effectuant leur travail avec leurs collègues ? Travail qu’ils ne font plus maintenant car il est fait par une machine et collègues qu’ils n’ont plus parce qu’ils ont été remplacés par des machines. Une partie de la solution réside dans le fait qu’il faut du monde pour concevoir installer et régler les machines, et du monde pour s’occuper de toute cette industrie complexe, autrement dit pour légiférer, assurer et financer. Mais toute cette partie est aussi de plus en plus automatisée. Prenons un exemple :

Dans le train entre Londres et Paris, je commande en deux clics sur ma tablette mon panier de course hebdomadaire pour livraison à 20 h devant la porte de mon appartement. A 300 km de là un robot vient faire du « picking » dans l’entrepôt Auchan et déposer la caisse dans une camionnette qui demain sera autonome. A 20h00 arrivé depuis 15 minutes, je reçois une notification sur mon smartphone ; le panier est livré en bas de chez moi. Je n’ai plus qu’à ouvrir la porte pour le saisir et ranger les courses : « il faut tout faire soi-même ! A quand le robot rangeur de courses cela me ferait gagner un temps fou !! »

Bilan : Beaucoup temps gagné, des économies de carburant, moins d’émissions de CO2, car la camionnette groupe les commandes en fonction de leur localisation, mais aussi pas une seule parole adressée au vendeur (il n’y en a plus). Finies les discussions avec le boucher sur le temps, la famille et par-ci par-là, le curé du village et le Bon Dieu. Finis les entraides

et les dépannages entre voisins, c’est tout un lien social qui se distend de plus en plus et qui peu à peu n’existe plus. Les familles éclatent, les gens sont de plus en plus isolés et se raccrochent à leur téléphone qui leur donne l’illusion d’exister aux yeux des autres car leurs posts sont likés sur facebook par des « amis » à l’autre bout du monde. Alors, gagner du temps toujours et encore, mais pour quoi faire, pour l’utiliser à chercher à en gagner encore plus, pour gagner plus d’argent ? Pour s’isoler et ne penser qu’à soi et à son triste sort.

Alors que faire ? Surtout ne pas faire ses courses en ligne ? Si bien sûr si c’est plus pratique, mais utiliser le temps gagné pour discuter avec la voisine, aller aider à la paroisse et faire du bien autour de soi. Utiliser le temps « gagné » pour les autres et non pour soi. En effet, une partie de ce « temps gagné » ne leur appartenait-il pas ?

Nous ne pouvons faire renaître le passé et il nous faut non seulement utiliser les moyens modernes, mais même parfois promouvoir leur utilisation sous peine, dans le milieu professionnel, de faire faillite et ainsi de nuire au bien commun.

Cependant nous avons aussi le devoir d’orienter autant que possible l’utilisation de ces moyens de façon chrétienne et humaine. Et plus ces moyens sont performants plus ils sont potentiellement dangereux s’ils sont utilisés à mauvais escient.

Notre rôle, en tant que catholiques engagés dans la cité et chefs chrétiens est donc d’utiliser et de canaliser ces puissances vers le bien, et même dans certains cas de les interdire si elles sont mauvaises en soi. De donner un cadre à leur utilisation pour que la Terre ne devienne pas un enfer déshumanisé. Pas question donc de nous isoler dans notre coin en attendant que cela passe et en se disant que dans tous les cas, cela va bien s’écrouler un jour, tel un géant aux pieds d’argile.

Par ailleurs, notre ancrage de Catholique dans ce qui est immuable, doit nous permettre de prendre de la hauteur et de garder notre capacité à juger et à exercer un regard critique sur ce monde en marche perpétuelle et accélérée dont le seul but semble être le mouvement. Ainsi, le progrès technique et son utilisation doivent être guidés par un jugement formé à l’aune de la tradition et de l’histoire.

Il ne faut pas non plus oublier que plus ces moyens sont sophistiqués, plus ils reposent sur un équilibre fragile et instable qui peut s’écrouler d’un instant à l’autre. Il est donc très important de savoir s’en passer et cela peut constituer la première partie de l’éducation d’un enfant, avant de lui apprendre quand il sera plus mûr à maîtriser et à se servir raisonnablement des moyens modernes qui vont décupler sa « puissance ».

Alors monte vite dans le TGV, si tu veux, fais tes courses sur internet et achète-toi les « Google glasses », mais surtout continue à aimer, à aider ton prochain et à lui apporter la Vérité que tu as eu la chance de recevoir ! Et garde un pied dans le réel et le concret, dans ce qui demeure, cela peut servir.

Charles