Pentecôte 2021

           Les pieds poudreux mais la joie chevillée au cœur.

           Ils ont marché. Les Catholiques ont marché. A travers les champs de blé. En famille. Je les ai vus, ces fous. Tandis que la France déconfinée se ruait dans les supermarchés, les fous ont marché. Sous la pluie, dans le vent et le froid de ce mois de mai. Des fous vous dis-je … De grosses chaussures aux pieds, mal protégés de la pluie par des ponchos froissés, fatigués, tirant ou portant les plus petits. Parce qu’ils ont marché en famille ces fous.

Si vous n’avez pas eu la chance de les voir passer, laissez-moi vous raconter !

 

  Imaginez un troupeau de familles, des pères, des mères, des ados, des enfants de tous âges, beaucoup d’enfants, oh oui, comme vous ne pouvez l’imaginer. Du bruit, de la joie, des sourires, des pleurs, des grimaces, des farces, des larmes, des rires, les voilà qui passent.

Devant, des bannières, portées par des garçons aux bonnes gueules ! Oui, ils ont des bonnes gueules ces garçons, prompts à pousser un fauteuil ou prendre une poussette, à se précipiter au-devant d’une maman pour la décharger d’un sac ou d’un petit, enthousiastes pour remplacer un porteur de bannière ou pour entonner un chant plein d’entrain. A la pause, un ballon surgit d’un sac, et les voilà qui improvisent un foot. Dans la joie et la fougue de l’âge des grandes aventures de quinze ans. Oui ils ont des bonnes gueules ces garçons sans capuche sur le visage, sans écouteurs dans les oreilles, sans pieds qui traînent, sans regard désabusé sur le monde. Ce sont des garçons pleins de vie, turbulents et débordant d’énergie, ils sont la promesse des hommes de demain. Ils portent les bannières comme leurs ancêtres les étendards de Jeanne devant Orléans, comme les drapeaux fleurdelisés sous le feu des Bleus.

Puis il y a les filles ! Elles sont belles ces filles, pas comme le monde moderne le pense. Oh non, elles sont si loin de cela ! Car ces filles-là, regardez-les bien, elles portent la promesse de la vie au fond des yeux. Elles chantent, elles rient, elles sont généreuses et enthousiastes. Leurs rires sonnent dans le vent comme résonnent les chants des alouettes haut dans le ciel, leurs silhouettes gracieuses sont comme un champ de blé sous la brise. Ces filles-là, elles sont pleines de vie, de cette vie qu’elles donneront un jour pour inonder la terre. De cette vie pas seulement naturelle, mais surnaturelle, la vie de Dieu dans les âmes.

Au milieu de la troupe, marchent les mamans, les courageuses mamans. Enceintes, ou tirant un petit par la main, ou même deux, portant un bébé dans les bras ou en bandoulière, s’enquérant sans cesse des uns et des autres, s’oubliant elles-mêmes, elles marchent. Elles portent tout le monde. Elles sont comme des madones, des madones couronnées, elles sont les mères de famille. Gloire à ces femmes qui marchent, qui donnent la vie au milieu de ce monde égoïste qui voit la maternité comme un esclavage, voire la déchéance de la femme. Elles brillent comme des phares dans la nuit, illuminant la génération qui vient des trésors de la génération qui s’en va.

Puis il y a les pères de familles. Ils sont là, ils commandent et entraînent, guident et encouragent, veillent et protègent sur la route, dirigent les méditations, au micro ou devant avec la carte. Ils sont l’étrave pour fendre la mer et ouvrir la voie, le gouvernail pour guider, la corne de brume pour alerter, les mâts et les voiles pour pousser le navire, l’armature de bois pour le faire tenir contre la vague en un tout insubmersible et mener la troupe au port du salut.

  Voilà la troupe des familles catholiques qui chante sur les routes ! Le prêtre est au milieu d’eux, comme le Pasteur au milieu des brebis. Lavant les âmes, célébrant la messe, instrument de Dieu pour donner la grâce sacramentelle. Pendant la messe tous chantent, s’immergent dans des actions de grâce profondes, après la communion, goûtant aux délices de la présence de Dieu. Tous les visages, recueillis, s’inclinent devant le Créateur et l’adorent. Si la grâce divine pouvait être visible, sûrement qu’elle prendrait cette forme-là ! « Venez Esprit Saint, remplissez le cœur de vos fidèles, il se fera une création nouvelle, et vous renouvellerez la face de la terre ». Ô Dieu, vous le faites déjà, et nous le voyons, dans le visage de ces gens qui marchent, pâle reflet de ce que vous accomplissez dans leurs âmes !

Ils sont là, à genoux devant Vous. Dans leurs jambes et leurs pieds, la fatigue de la route. Les pieds poudreux mais le cœur heureux. Le corps fatigué mais le cœur en paix. Ils viennent là avec tous leurs soucis, les tracas de la vie terrestre. Un enfant malade, une croix à porter, une situation financière précaire, un travail difficile. Ils portent sur eux la misère de leurs péchés, de leurs lâchetés, de toutes les trahisons dont par faiblesse ils se sont rendus coupables. Ils jettent tout cela à vos pieds. Ils marchent aussi, submergés par la peur de l’avenir qui semble aux mains des impies. La France malmenée, trahie, livrée à l’étranger. L’Eglise tourmentée, moquée, assaillie de toute part, le Christ Roi tourné en dérision, ses droits bafoués. Cette pauvre Eglise, ils la voient souffrir, elle dont la lumière semble disparaître sous les Ténèbres de l’erreur, de l’hérésie, du loup dans la bergerie. Alors ils portent toutes ces misères et ces peurs sur leurs épaules. Ils se sentent parfois seuls. Faibles. Terrassés. Mais vous, Ô Dieu, vous vous tenez au milieu d’eux. Vous prenez leurs fardeaux. Vous avez porté la croix, jusqu’à la mort, pour détruire tout péché et toute misère. Vous avez déjà détruit leurs fardeaux au Golgotha.

 

  Et Vous donnez votre grâce, en abondance, comme un flot fougueux et impétueux, comme un fleuve puissant qui façonne la terre et irrigue les champs. Vous donnez vos dons pour que la lumière brille. Pour que, comme les flèches de la cathédrale jaillissent soudain au-dessus des blés, des saints jaillissent de ces familles Catholiques. Des prêtres, des religieux, des religieuses ! Des Jeanne, Geneviève, Thérèse, Zélie et Madeleine. Des Louis, François-Xavier, Foucault, Pierre, Dominique et Augustin. Des pierres pour rebâtir la cathédrale. De l’huile pour la consacrer. Du pain pour devenir votre Corps et nourrir les âmes, du vin pour devenir votre Sang et les abreuver. De l’encens pour honorer votre majesté, jusqu’aux hautes voûtes de pierre, et au-delà, jusque devant votre saint trône de gloire. Des cierges, des torches immenses pour éclairer les cœurs perdus, rassembler le troupeau. Ô Dieu, inondez de vos dons ces familles qui Vous aiment et l’ont montré en marchant, suscitez parmi eux des âmes saintes que Vous moissonnerez au temps que Vous voudrez. Et même, que tous ces enfants aux cœurs purs deviennent prêtres ou religieux si Vous le voulez. Vous moissonnerez ces âmes belles et généreuses, forgées par le sacrifice, dans les petites choses, par les petits oublis de soi dans la vie ordinaire. Ces petits riens offerts chaque jour pour votre gloire, qui sont comme les pas du pèlerin patiemment mis l’un devant l’autre sur les routes de Chartres, ces petits riens qui préparent les grands cœurs pour qu’au jour du dernier sacrifice l’armée des saints se lève.

Ils ne sont pas seuls dans ce monde dégénéré, les trompettes de l’Eglise triomphante sonnent avec eux, c’est là qu’ils vont, c’est pour cela qu’ils meurent au péché, qu’ils meurent au confort et aux plaisirs, qu’ils mourront peut-être demain sous le fer des impies.

 

  Peu importe la mort, car au bout de la route se lèvent les flèches de la cathédrale. Car au bout de la route se dressent les portails triomphants de la Cité céleste. Car au bout de la route sont les délices du repos en Dieu après le sacrifice de la marche sur terre. Car au bout de la route la gloire de Dieu illumine dans les siècles des siècles.

 

  Il n’y a plus de roi. Ils l’ont tué. Il n’y a plus de paysans, ils assassinent les derniers. Il n’y a presque plus de prêtres, ils les ont profanés. Mais il y a encore des pèlerins. Beaucoup de pèlerins. Leurs drapeaux et leurs chants claquent depuis la terre à la face du Ciel ! Les assassins, les impies, tous ceux qui haïssent Dieu et ses enfants, ce sont eux les vaincus ! Dieu a détruit le péché et vaincu la mort. « Et il se fera une Création nouvelle ». La voilà cette Création nouvelle, elle marche à la Pentecôte, sur les routes. Elle avance, rachetée par Jésus-Christ, baignée des dons du Saint-Esprit, elle marche vers la Cité céleste pour chanter la gloire du Père. Alors vous autres, Satan et ses esclaves, retirez-vous, les saints Anges combattent avec eux, Marie, forte comme une armée rangée en bataille, les couvre de son manteau, Dieu Lui-même, les prend dans sa main. Retirez-vous, Satan et autres esprits mauvais, laissez les fils de Dieu, les gueux de la terre, entrer dans la gloire !

 

Louis d’Henriques